Kayla Fal'San'In
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En dépit de l’atmosphère désastreuse qui régnait entre les professeurs, la pause fit un bien fou à son humeur et à son état physique général. Bien qu’elle ait les deux yeux rivés sur sa lyre en mangeant, le ragout était chaud et remplir son estomac plus réconfortant que ce qu’elle aurait cru. Voir Sallavïn s’assurer que chacun se sustente suffisémment, quitte à délaisser sa propre assiette était aussi un spectacle qui parvint à lui arracher un sourire ou deux. Sourire qui s’atténua en voyant revenir le palefrenier et en entendant les éclats de voix depuis la cuisine. Kayla expliqua brièvement la situation aux personnes ne parlant pas cyrillan : le jeune garçon s’était fait mordre par leurs diablotins. La melessë se leva alors lentement.
- Je m’en occupe, dit-elle, en elfique, avant de se diriger vers la cuisine.
« Veuillez m’excuser, j’ai cru comprendre que nos montures avaient encore frappé, prononça-t-elle dans son cyrillan le plus doux, tout en s’approchant du garçon.
« Permettez-moi ? Je peux vous soigner.
Délicatement, elle saisit le bras mordu, observant la trace nette qu’avait laissé une mâchoire équine dans la chaire. Elle fronça les sourcils, secoua la tête et tira sa lyre afin d’entonner son chant guérisseur. Quand les dernières notes se turent, elle replaça l’instrument dans son dos et avisa la peau de son patient, palpant doucement le muscle pour vérifier que le sort avait eu l’effet escompté.
- Et voilà, vous êtes comme neuf ! Pardonnez-nous encore, nous aurions dû vous dire que les chevaux étaient difficiles, elle s’inclina vers la cuisinière. Et merci pour votre accueil, le repas était excellent.
Elle salua la mère et le fils d’un sourire et d’un geste de la main, puis rejoignit les autres d’un pas lent. Peu pressée de remonter sur le dos de Kokkola, elle aborda néanmoins la jument avec courtoisie, caressant et flattant sa compagne de route pour mieux lui offrir la juteuse récompense pour ses services.
- Ma coquine, j’espère que ce n’est pas toi qui as croqué notre jeune palefrenier alors qu’il t’a fait toute belle pour nous ? demanda-t-elle dans un elfique plus affectueux que réprobateur.
« Encore un petit effort, ma jolie, je suis désolée de ne pas être la meilleure cavalière pour toi, mais je ferai de mon mieux.
Elle aida Podness à se caler sur la selle, puis le suivit, peinant à retenir le couinement douloureux que lui arrachèrent ses muscles à l’audace d’un ample mouvement de jambe. Elle tenta de manifester un peu de positivité envers le magicien avant de repartir :
- Courage à nous, Podness, ne nous laissons pas défaire par la route !... Hu ? Wah ! Mais pas trop vite quand-même Kokkola, pas trop vite.
Et la route fut plus clémente, mais plus triste aussi, voire carrément, mortellement ennuyeuse, songea Kayla. Elle aurait pu voyager avec un tas de pierres qu’elle aurait ressenti plus de joie de vivre, ou au moins n’aurait-elle rien attendu de plus d’une telle compagnie. Néanmoins, elle n’osa pas retenter l’expérience d’un conte chevauché, elle avait mesuré la difficulté de poser sa voix sur le dos d’un équidé en mouvement et elle préférait ménager son souffle.
Quand ils s’arrêtèrent enfin, à la tombée du jour, elle parvint cette fois à descendre seule. Avec moult gémissements douloureux et sans élégance aucune, mais elle avait mis pied à terre sans aide. C’est relativement fière de sa performance qu’elle aida son passager à rejoindre le plancher des vaches et qu’elle lui proposa de l’aider à retirer le harnachement de la jument, puis de la débarrasser de sa sueur, de la frotter, de la brosser, de carder ses crins, de décrotter ses sabots, pour mieux la laisser enfin paître à loisir. Ce fut une entreprise un peu moins couronnée de succès et la melessë finit, à contre-cœur, par demander de l’aide pour faire lever le pied à sa monture, à Brindja, cette fois. A la fin, la musicienne se sentait vidée de toute énergie et l’envie de se blottir dans sa cape de voyage pour dormir sans manger, ni demander son reste, était forte. Mais ils avaient encore à faire.
Sallavïn avait l’air de maîtriser l’art du campement et elle ne jugea pas nécessaire de l’ennuyer avec une aide superflue et maladroite. Elle préféra s’occuper d’épousseter les vêtements de chacun, afin de les rendre plus confortable pour la nuit et le lendemain. Puis elle peigna ses cheveux, les brossa pour les débarrasser des affres de la route et, enfin, contempla leur hétéroclite compagnie, posant finalement ses yeux sur la haute silhouette de Brindja.
Prenant une grande inspiration elle se releva, taisant les protestations de ses jambes, et s’approcha timidement de la grande rousse, un sourire avenant, bien qu’un peu gêné, sur les lèvres. Elles n’avaient strictement rien en commun, mais l’elfe avait l’air de conserver une sorte de rancœur, ou en tout cas de la tension, de leur altercation et Kayla ne souhaitait pas aller se reposer sans avoir tenté quelque chose pour parler un peu avec elle.
- Brindja ? demanda-t-elle prudemment, cherchant ses mots.
Sous le regard fauve de la guerrière, elle se sentait un peu démunie et sotte. Elle hésita à faire demi-tour, songeant qu’elle allait encore faire l’objet de moqueries. Mais elle se reprit et releva les yeux vers les prunelles de la grande femme.
- Vous allez sans doute trouver ma proposition ridicule, mais je la tente néanmoins. Accepteriez-vous que je peigne et coiffe vos cheveux ? finit-elle par demander, mettant toute sa bonne volonté dans le sourire radieux qu’elle offrit à l’elfe.
« Juste pour les débarrasser de la poussière et vous détendre, vous vous sentirez mieux si vous voulez vous reposer plus tard.
« Et si Lyvin se permet le moindre commentaire désobligeant, je lui ferai des couettes durant sa transe, chuchota-t-elle avec un air de connivence.
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Edit Umberlie :
Dans la cuisine de l’auberge, la mère, méfiante, prit son fils par les épaules et jeta un regard plein de reproches sur la jeune femme. Finalement, l’attitude et le ton suave de la voix de Kayla réussirent à l’apaiser. Puis, lorsqu’elle constata l’effet du chant guérisseur, son visage s’illumina d’un sourire de gratitude.
Enfin, elle offrit à Kayla une autre miche de pain, pour le voyage, en guise de remerciement.
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