Kayla Fal'San'In
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Une fois lancés au pas, puis au petit trot, nos cinq compagnons se dirigèrent plus ou moins vers le sud, sans avoir la moindre idée de leur prochaine étape.
Kokkola et Lassi faisaient encore des siennes de temps à autre, forçant parfois les autres à ralentir. Mais une fois qu'ils se placèrent les uns derrière les autres, les deux montures récalcitrantes n'eurent plus qu'à suivre les deux meneurs.
- Bon eh bien, lança Brindja en tournant à demi la tête vers la barde, à l'arrière. Qu'est-ce qu'elles vous disent, vos voix ?
« Et faut-il s'arrêter en ville ou non ?
- Evitons de perdre du temps ! répondit Podness.
« Nos principaux suspects sont les duchés... ils n'auront pas fait de détours en ville !
Perdue dans ses pensées, concentrée sur sa sa monture et sur le fait de ménager le jeune gnome, Kayla releva lentement son regard vers l'elfe. Avec peine, elle retint la réplique cinglante qui lui vint à l'esprit et se contenta de répondre laconiquement.
- Elles m'indiquent le Sud et que ce qui m'attire par là-bas s'éloigne, elle grimaça.
« Si par conséquent nous pouvions faire au plus rapide, personnellement, je préférerais.
Elle ne jugea pas nécessaire de préciser ce qui pourrait arriver autrement. Elle les avait tous mis au courant de ses voix, mais les réactions de Brindja et Lyvin, ainsi que les craintes de Podness, ne lui donnaient guère plus envie de s’étendre.
Malgré lui, Sallavïn ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe d'excitation, l'adrénaline parcourant ses veines tandis qu'il savourait la brise sur son visage. Le bruit des sabots qui martèlent la terre en cœur lui inspirait un sentiment de liberté et de puissance enivrant et c'est seulement quand Brindja demanda des précisions à la musicienne que le blondinet se reconcentra sur l'objet de leur mission.
Pourtant, il n'ajouta rien à ce que venait d'affirmer le duo : pas de détour en ville nécessaire. Il se contenta de regarder Brindja en hochant la tête, confirmant que c'était son impression aussi : ils n'avaient pas une minute à perdre. Néanmoins, il se porta à hauteur de ceux qui avaient montré quelques difficultés à prendre le rythme :
- Est-ce que tout va bien ? Nous ferons une halte dans quatre heures mais nous pouvons doubler les pauses si leur durée est réduite. Les premières chevauchées sont toujours un peu... Douloureuses.
- Quatre heures ? Douloureuses ? intervint Kayla, en levant un regard inquiet vers le paladin.
La musicienne n'avait jamais fait de longue balade à cheval, les quelques fois où elle s'était éloignée de chez elle avec Elandor, c'était à pied. Si elle avait une vague idée de ce que monter ces animaux requérait à court terme, elle n’avait jamais réfléchi aux conséquences d’une chevauchée de plusieurs heures ou pire, de plusieurs jours.
Une néphelytre, voilà ce qu'il nous faudrait, pensa Pod en soupirant à la remarque du melessë.
- Et bien, ça dépend des gens, répondit Sallavïn à l’inquiétude de sa consoeur au sang-mêlé.
« Je sais que l'ont peut se retrouver avec une grosse ampoule en guise de pair de fesses, si on ne prend pas garde ! Si l'on peut éviter, ça ne m'ennuie pas de faire des pauses. Si vous sentez que vous avez mal, nous pouvons prendre le temps d'ajuster la selle plus convenablement, finit-il en jaugeant le harnachement des montures avec attention.
La melessë déglutit doucement, son sourire tremblant quand elle croassa un « Ah... » peu assuré. Elle rapprocha un peu son buste du dos de Podness, prenant garde à sa posture pour suivre au mieux le mouvement du cheval. L'équitation, finalement, ne devrait pas être bien différent d'une danse, non ? Anticiper les chocs, adoucir le mouvement, guider son partenaire où qu'il aille et être guidé en retour, avec souplesse, grâce et attention, elle devait pouvoir y arriver... Ou dire adieu à son postérieur.
Et puis chacun se tut, se concentrant sur la route qui défilait au rythme énergique des petits chevaux de Boréas. Après quelques minutes, Kayla se sentit un petit peu mieux. C’était une aventure, après tout, le genre qu’elle avait voulu vivre en partant de chez elle. C’était même curieusement proche de ce qu’elle s’était imaginée comme voyage idéal : elle était accompagnée d’un melessë de son âge, de deux elfes, ainsi que d’un gnome jovial. Des compagnons compétents avec qui elle s’entendait… Bien ? C’était encore difficile à dire, pour elle. Que pensait-elle d’eux, elle ?
Ses yeux allèrent d’une silhouette à une autre, lentement, détaillant la posture, les vêtements, les gestes discrets, comme pour graver sur sa rétines cet instant, le figer dans le temps, grapiller un minuscule petit bout d'éternité. Elle soupira, s’ébroua légèrement et, pour se changer les idées, entonna d’une voix claire :
- Il y a quelques années, durant une des fêtes de printemps qui ont lieu à Varnaïrello, un barde itinèrent, un aldaron du nom de Khildar, nous a conté une histoire. C’était un conte étrange parlant de néant et de lumière. Il disait que tout cela lui était venu en songe. C’était un homme vraiment très, très… Intriguant, il avait le regard un peu fou, mais son histoire avait quelque chose de réconfortant.
« En un temps si ancien que le temps lui-même n'en conserve aucun souvenir le Néant s'ennuyait de n'être qu'être. Unique et omniprésent, son passé n'avait pas de futur. Pourtant, une lueur apparut du fond de son espace, brisant la morne omnipotence du Néant par une concentration distraite, l'être avait fait naître un autre. Une lumière qui dure, un éclat formidable qui émerveilla celui qui devenait, sans réellement comprendre, parent. La première entité engendrée chercha sa source, son origine, sa raison de vie. Cependant, elle ne trouva que silence et froid, dans les alentours obscurs. Son géniteur eut beau se démener, s'agiter, se manifester et vouloir l'envelopper, rien n'y fit. Elle se débattait, s'esquivait, s'interloquait et se soustrayait à ces glaçants élans. Elle débordait de vitalité, de passion et d'envies, et fuyait ce qui la contraignait à croupir.
« Loin de regretter que le dépositaire de son cadeau précieux se dérobe à lui, le responsable de son existence cessa ses tentatives de liens et décida de devenir observateur. Alors il vit la lumière, sa splendide création, jouer avec les couleurs. Elle s'amusa aussi avec les sons, et brisa le silence des infinies de sa conscience émergea des mondes chantés par des musiques célestes et brodés aux firmaments. Ses habitants s'éveillèrent, peu à peu, puis en nombre. Elle les adora, et ils firent de même. Ils se propagèrent, louant sa lumière, qui éclairait leur chemin à travers les mondes. Mais à puiser dans son rayonnement, ils finirent par épuiser son scintillement. Ainsi leur génitrice commença à s'éteindre. Néanmoins, elle ne leur en tint pas rigueur. Et tandis que le Néant retrouvait son enfant, des mondes s'élevaient des requiems.
« Vacillante, la lueur reconnaissait enfin son créateur
Qui versa des pluies pour la première fois
En serrant contre lui son éclat
D'un souffle il s'écria :
« Le plus magnifique des cadeaux, c'est la vie, que je t'ai donné. Tu le perds désormais. Quel malheur ! »
Et dans un sourire elle répondit :
« Le plus beau don, je l'ai perdu dès ma venue. Je le retrouve désormais à mes côtés. Quel bonheur !
Depuis, certains vents, disait Khildar, chanterait parfois la mélopée du Néant et de la Lumière réunies.
[HRP : Le conte du Néant de Khildar, le texte n'est effectivement pas de moi, mais j'ai bien eu l'autorisation de son auteur (et puis il est absolument parfait pour cette occasion)]
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