Kayla Fal'San'In
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Retranscription du cours de Kayla à Timotheos
En sortant de l’entretien avec la duchesse, Kayla constata qu’elles avaient passé, finalement, beaucoup de temps ensemble. Temps qui ne lui restait plus pour préparer son cours. Elle soupira, elle aurait dû laisser Sallavïn commencer. Lâchant un soupir, elle regagna sa chambre, réunit quelques parchemins et de quoi écrire, elle prit soin d’y joindre la partition de la chanson qu’elle avait composée pour Timotheos. Puisqu’il l’avait appréciée, elle pourrait certainement en faire quelque chose. Elle avait tout juste fini quand on la prévint que le repas était servi.
Dans la salle à manger, elle apprécia de retrouver les autres professeurs le temps de leur repas. Ce fut une pause bienvenue, mais trop courte à son gout. Ce fut donc les bras chargés de quelques parchemins et sa lyre dans le dos, que Kayla salua l'arrivée de son élève. Elle s’inclina en une légère courbette, souriante, accueillant sa proposition d'un regard vers l'extérieur. Il faisait beau, c'était tentant... Mais elle voulait être seule avec le jeune duc, Sallavïn lui ferait certainement cours à dehors, de toute manière.
- Si cela vous convient, j'aimerais utiliser de théâtre pour aujourd'hui, dit-elle doucement. Je vous suis donc.
Timotheos la mena à une petite porte située vers le fond de la salle de réception, et plus ou moins dissimulée derrière un rideau.
Le théâtre était une pièce de taille assez modeste contrairement au reste de la Villa. Assez confidentielle, sans doute faite pour des représentations privées.
Elle n'avait pas de fenêtre non plus. Mais des sièges et fauteuils confortables, et une scène en demi-cercle, munie de coulisses et de lourds rideaux.
- Voilà, lui dit-il laconiquement.
La melessë referma délicatement la porte derrière eux, observant la pièce d'un air satisfait et curieux. Elle déposa ses affaires dans un fauteuil, puis s'agenouilla près de l'enfant.
- Maintenant que nous sommes seul, je voudrais vous remercier pour votre intervention d'hier. Elle a beaucoup compté pour moi, plus que vous ne le pensez sans doute, elle sourit plus franchement. Merci Timotheos, vous avez ma gratitude, conclut-elle, la voix vibrante, inclinant la tête pour marquer ses mots.
- Ah. De rien... Je suis content de l'avoir fait. Même si c'est Mère qui me l'a demandé...
Le rire de Kayla tinta dans la pièce, franc.
- Haha ! C'est bon à savoir !
Tirant sa lyre de son dos, elle joua un court morceau accompagné de paroles elfiques. Ses mots prirent un léger écho quand les chandelles s'allumèrent dans un bref crépitement.
- Voilà qui sera mieux pour vos yeux et l'atmosphère du lieu. Quant à moi, j'apprécie de voir les couleurs. Bien !
Elle s'assit dans un fauteuil, invitant le jeune garçon à faire de même, à côté d'elle.
- Pour commencer nos cours, je vous propose un petit jeu : nous allons, chacun notre tour, poser des questions à l'autre, n'importe quelle question, il n'y en a pas de mauvaise ni de stupide, aucune curiosité déplacée. Nous avons le droit de ne pas vouloir répondre, dans ce cas, celui qui pose la question perd la main. Pour cette fois, nous nous limiterons à 5 questions chacun. Les règles sont-elles claires ?
Dans la lumière feutrée de la pièce, les yeux de la melessë pétillaient de malice.
Le garçon devait avoir l'habitude de genre de tours de passe-passe, même s'il sembla surpris qu'on puisse le déclencher en passant par la musique.
A la proposition de Kayla, il se contenta de hocher sagement la tête.
- Bien, je commence.
Elle réfléchit un instant, croisant les bras sous sa poitrine. Elle avait beaucoup de questions, mais elle ne voulait pas que l'enfant se ferme.
- Hmmm... Qu'est-ce que vous aimez faire, quand vous avez du temps libre ?
Timotheos cligna des yeux, ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma. Il semblait trouver la question difficile.
- Maintenant ?
Il s'empourpra en réalisant qu'une question en guise de réponse était contraire aux règles.
- Si vous avez besoin de précision sur une question, vous pouvez demander, ce n'est pas contraire aux règles, précisa-t-elle. Il faut bien comprendre une question pour bien y répondre.
- Maintenant, je... réfléchis. Je m'occupe de ma soeur. Je lis un peu. Je marche. Je vais voir les chevaux. Je dors.
Il ne montra guère d'enthousiasme pour cette question. Il réfléchit un instant à la sienne, puis :
- Vous êtes amoureuse de combien d'hommes en tout ?
Elle écouta la question, qui lui arracha un sursaut, une rougeur sur son visage puis un rire à la fois gêné, surpris et heureux.
- Touché, sire, touché ! Ah... Je ne suis amoureuse d'aucun homme. Par-contre, je plais à beaucoup et ils ne savent pas que je ne suis pas très douée pour rendre ce genre de sentiment, elle fit une pause. Et puis, l'amour est une chose qui demande du temps, je suppose, et je n'en ai jamais eu assez, jusque-là.
"Je suis surprise que vous posiez cette question, vous êtes plein d'audace, Sire Timotheos, j'apprécie de voir cela en vous.
Elle reprit son souffle lentement, sans cesser de sourire, visiblement, elle ne lui en voulait pas.
- Voyons, voyons, après une question aussi indiscrète, comment vous rendre la politesse... Ah, je sais. Que vous a inspiré la chanson que j'ai composé pour vous ?
Timotheos ne sembla pas comprendre en quoi sa question était audacieuse, ni même ce que ça voulait dire, au juste. Il s'excusa, néanmoins, quand il comprit qu'il l'avait embarrassée.
Il sourit lorsque Kayla mentionna sa composition.
- J'ai beaucoup aimé les paroles. C'était beau. Et triste, en même temps. Ça fait rêver. Et en même temps, ça me rappelle que je ne suis pas libre comme vous.
Une pointe de jalousie, sous forme d'une petite ride au milieu de ses sourcils, apparut un instant sur son visage avant de s'évanouir.
- Vos parents... Ils n'étaient pas fâchés quand vous êtes partie ?
- Ne vous excusez pas, je vous en prie, c'est le jeu et c'était assez amusant, comme question, répondit-elle à ses excuses.
Elle fut visiblement ravie de voir le garçon sourire.
- Chacun sa liberté et ses devoirs, Sire, je ne suis pas aussi libre que je le parais à vos yeux, même si je comprends que vous le pensiez. Tout est une histoire de compromis, faire co-exister ses rêves et ses devoirs, ses libertés et ses contraintes.
La seconde question était plus attendue et Kayla ne parut pas surprise, juste songeuse.
- Difficile à dire, ma mère savait que je devais partir, mais elle n'a jamais accepté que je le fasse. Je ne crois pas qu'elle soit fâchée, je pense qu'elle est morte de peur, qu'elle est triste, qu'elle passe en boucle tout ce qu'elle aurait pu ou dû faire, ce qu'elle devrait faire à présent... Qu'elle cherche un compromis entre son désir de prendre la mer pour retrouver sa fille et les devoirs qu'elle a au pays. Mon grand-père, je pense qu'il s'y attendait. Il doit juste m'en vouloir quand-même de ne pas lui avoir dit au revoir en face, elle eut un petit rire de gorge en songeant au vieil elfe.
"Quant à mon père... Il est mort quand j'avais 6 ans et je ne sais pas ce qu'il en aurait pensé. Sans doute que les choses auraient été très différentes, s'il était encore là, elle soupira. C'est lui qu'évoquait le second couplet de la chanson : Je t’ai attendu sur nos rivages. Ma courte vie s’écoule et le temps joue une partie déjà perdue contre nous. Seule, je suis restée sur la plage chanta-t-elle doucement.
"C'est difficile de ne pas idéaliser les gens qui nous quittent, de ne pas s'imaginer que tout serait plus simple s'ils étaient encore là. Peut-être est-ce vrai, mais il n'y a pas à regretter des choses contre lesquels nous sommes tous impuissants.
Elle contempla le visage du jeune garçon, ses propres traits marqués d'une mélancolie douce-amère, mais tranquille.
- Que feriez-vous de votre liberté, alors, si vous étiez aussi libre que vous le souhaitez ?
La tristesse et la compassion se peignirent sur le visage du garçon à la mention du père décédé de Kayla. Il baissa la tête. Il hocha la tête à ses derniers mots, concernant les regrets.
La question suivante sembla le motiver davantage. Il sourit à nouveau, mais pour lui même cette fois. Il semblait regarder une scène qui défilait dans son esprit.
- J'aimerais voyager dans tout Cyrillane. Chasser et punir les créatures mauvaises, et protéger les faibles. Mon père était un héros de guerre, vous savez ? J'aimerais bien être un héros moi aussi. Même si la guerre, ça m'intéresse moins...
J'aimerais rencontrer plein de gens, aussi. Et des peuples différents. Ici, je vois toujours les mêmes personnes... Et je n'ai pas le droit d'aller très loin.
" Et votre père, professeur Kayla... Il faisait quoi ? Vous aussi, vous voulez devenir comme lui ?
La musicienne écouta avec attention les paroles de Timotheos. Elle comprenait ses désirs et sa curiosité. Elle se disait aussi qu'il voulait, tout simplement, être à la hauteur de feu son père.
- Votre père était duc et un héros. Je ne vois pas en quoi ce sont des choses incompatibles, votre mère et lui ont du voir du pays, rencontrer beaucoup de gens. Ce que vous devez devenir et ce que vous voulez être, ce sont peut-être des choses conciliables, dans une certaine mesure, dit-elle, pensive.
"Après, je ne suis pas noble et je ne suis pas de Cyrillane, j'avoue que je ne mesure probablement pas très bien les restrictions de la vie d'un duc.
Elle se redressa et haussa légèrement les épaules pour marquer son manque de connaissance en la matière, puis elle répondit à la question :
- C'était un érudit, il a beaucoup voyagé, beaucoup appris. Quand je suis née nous vivions à la Cité Franche et mon père travaillait à la traduction de nombreux textes, en cyrillan, en cyfand, en elfique, en lothrien, en gnome, aussi, dans des langues parfois exotiques, parfois perdues. Il me posait sur ses genoux quand il travaillait... Et en général je finissais par m'endormir, bercée par les mots, dit-elle en riant.
"J'ai voulu être comme lui, oui, mais mon talent, c'est le chant et la musique, ma joie c'est de rendre aux cœurs un peu de bonheur, lorsque vibre les cordes de ma lyre.
Quelques notes de l'instrument tintèrent pour conclure sa réponse.
- Mais je suis très heureuse d'être votre tutrice !
"Que pensez-vous du fait d'apprendre le cyfand, l'elfique et la danse ? J'aimerais que nos cours soient plaisants pour vous aussi. Ma mère et mon grand-père m'ont appris les langues en chansons, au travers des contes et des légendes. J'aimais aussi beaucoup étudier dans la forêt, près de chez moi, c'était un lieu qui m'aidait à me concentrer et mon grand-père m'a appris à danser, en équilibre sur les branches. C'était efficace... Totalement irresponsable, quand j'y repense, mais efficace.
Kayla sentit qu'elle perdait peu à peu l'attention du garçon. Celui-ci écoutait de moins en moins et semblait perdu dans ses pensées. Il ne revint sur terre que lorsqu'elle fit sonner les cordes de son instrument.
Il écouta la suite, puis se mordilla les lèvres, hésitant à donner une réponse franche. Finalement, il soupira, puis se lança :
- Je sais que ça ferait plaisir à ma mère... Alors je vais essayer.
Il ne répondit pas au reste. En fait, il semblait fatigué. Il se souvint finalement que c'était à lui de poser une question :
- Vous m'apprendriez votre chanson d'hier ?
Kayla se leva avec élégance de son siège et vint s'accroupir devant l'enfant.
- Avec plaisir, nous la traduirons en cyfand et en elfique, aussi, ce sera un exercice intéressant.
Doucement, elle déroula le parchemin contenant la partition et les paroles, l'étalant sur les genoux du garçon.
- Tenez, prenez-la, elle est à vous. Avez-vous d'autres questions ?
Timotheos se réjouit de pouvoir passer à autre chose, et fit "non" de la tête. Il prit délicatement le parchemin entre ses doigts et commença à le lire à voix haute, à un rythme lent, et buttant souvent sur certaines lettres manuscrites qu'il avait du mal à reconnaitre.
Au fur et à mesure, à chaque parole, Kayla jouait la note correspondante sur sa lyre tout en l'indiquant d'un doigt sur le parchemin. Ils passèrent le reste du cours sur les bases de la musique, la melessë montrant à Timotheos le placement des notes sur les cordes de la lyre, la façon de les jouer et comment poser sa voix pour qu’elle corresponde. Puis elle remballa les papiers, laissant la partition au jeune noble, avant de l’amener à Sallavïn qui les attendait devant le théâtre. Juste avant elle demanda au garçon :
- Souhaitez-vous que je vous accompagne pour la traduction ?
- Non, c’est bon, merci.
Elle hocha la tête et ouvrit la porte. Elle salua le paladin d’une légère courbette et observa avec un sourire le plaisir de Timotheos face à son homologue. Au vu de ce qu’il lui avait dit plus tôt, cela n’avait rien de surprenant, sans doute que les deux allaient beaucoup se plaire.
- A tout à l’heure, bon cours à vous deux, conclut-elle en cyfand, avant de s’éloigner.
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