Umberlie
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Retranscription de la discussion Kayla/Mercœur
Kayla avait gardé son sourire heureux pendant toutes les épreuves. Incapable d'être efficace, toute à ce qu'il venait de se passer, elle n'en était pas moins heureuse de la victoire de Podness et le félicita chaleureusement.
Dès qu'ils le purent, en revanche, elle fila jusqu'à sa tente, étendit ses affaires trempées pour leur permettre de sécher et récupéra sa cape de voyage, au cas où il se remettrait à pleuvoir. Elle ne voulait pas tremper ou salir les vêtements qui lui avait été confié.
Au petit trot, sautillant presque d'une excitation qui n'était pas du tout dû à l'homme qu'elle retrouvait, mais qui convenait merveilleusement bien au rôle de la jeune fille en fleur retrouvant son amoureux, elle se rendit à l'olivier. Mercœur l'y attendait déjà et elle le gracia d'un éblouissant sourire, bien que légèrement essoufflée par sa course. Elle étendit sa cape dans l'herbe mouillée, puis l'invita à s'asseoir avec elle.
Mercœur s'assit volontiers sur le tissu étendu au sol, et posa son luth à côté :
- Eh bien eh bien, j'aimerais croire que ce joli sourire m'est destiné, mais avec vous, je ne sais plus quoi penser...
Un rire s'échappa des lèvres de Kayla, puis se déclina en une expression plus mystérieuse, mais espiègle. Elle s'approcha un peu plus du jeune homme :
- Vos "blessures", vont-elles mieux ? Je suis vraiment navrée que vous ayez eu à subir tout ça...
Mercœur se mit un peu plus à l'aise, adoptant une posture de bourgeois en plein pique-nique champêtre.
- Ça va beaaucoup mieux, merci. Grâce à vous. J'ai tant souffert...
« Mais c'était pour le mieux, n'est-ce pas ? murmura-t-il en se penchant vers son oreille.
« Et puis vous en avez bien profité pour vous rincer l'œil, n'est-ce pas ? dit-il à voix haute, en riant. J'espère que vous avez trouvé la vue agréable !
Kayla soupira, levant les yeux au ciel. Cet homme était... difficile. Mais elle pouvait certainement jouer à son petit jeu, elle avait l'humeur pour, en tout cas. Et maintenant qu'elle comprenait que c'était là tout ce qu'il y avait dans cet horripilante attitude : un jeu, il était plus simple de s'en amuser. Elle le laissa donc approcher de son oreille et l'écouta. Elle le contempla d'abord d'un air de pure perplexité, juste avant que ses joues ne rougissent profondément, adoptant un rouge vif qui contrastait joliment avec sa pâle carnation.
- Que... Je-je... Non ! C'était pour vous soigner ! J-Jamais je n'aurais osé !
Elle s'interrompit, se calmant peu à peu. Ses joues gardèrent encore leur éclat pivoine quand elle répondit d'une voix plus apaisée.
- Mais vous le savez très bien, n'est-ce pas ?
Mercœur sembla hésiter sur la réponse... pour finalement acquiescer d'un simple :
- Oui.
Il observa un instant les candidats qui déambulaient, un peu plus loin. Peut-être pour s'assurer de n'être à portée d'oreille de personne.
- Je me doute aussi que vous n'êtes pas venue me conter fleurette -- même si le contraire ne me dérangerait pas forcément !
Reprenant lentement contenance, la jeune femme laissa son regard courir sur l'homme à ses côtés, interdite. Elle soupira, se positionna dos à lui et s'aménagea une petite place au creux de ses bras, contre son torse, logeant son crâne dans le creux de son épaule. Les yeux clos, la respiration lente, un petit sourire sur les lèvres, elle semblait curieusement à l'aise, désormais.
- Sifflez donc à mon oreille, ô cher serpent, je suis toute à vous.
La nouvelle posture de Kayla ne sembla pas le gêner le moins du monde, et il fit en sorte de lui offrir un soutien confortable.
- Je vois que vous apprenez vite à ce jeu-là, lui souffla-t-il à son tour. Vous devriez tout de même vous méfier davantage de la réaction d'autrui. Ça peut vite mal finir, lorsqu'on s'amuse avec les sentiments des autres. Personnellement, je préfère susciter l'antipathie que l'amour. Ça m'évite un tas de problèmes, croyez-moi.
Ses yeux se levèrent doucement vers lui :
- Je n'apprends rien, je sais déjà. Je ne suis juste pas très bonne pour mettre en pratique ces leçons-là.
Elle tourna son visage vers lui, lui offrant un regard pénétrant et une voix curieusement ferme.
- Et je ne m'amuse pas.
- Ah ? fit-il, surpris. Ce n'est pas ce qui me semblait. Moi, je m'amuse follement en tout cas, depuis que j'ai mis les pieds ici. C'est un jeu dangereux, évidemment... mais ce serait moins amusant si ça ne l'était pas.
Un grognement léger roula dans sa gorge de Kayla :
- Si nous en venions aux faits, voulez-vous ?
- J'allais vous poser la même question.
Elle se détendit à nouveau et inclina du bout des doigts la tête du jeune homme pour approcher son oreille de ses lèvres.
- Bien, je commence, alors, puisque vous faites le difficile. Quand je suis arrivée ici, dès le premier soir, le duc de Bracassay m'a demandé de me retirer de la compétition en échange d'une proposition fort alléchante. Puisque vous êtes un barde, je suppose qu'il a dû tenter la même chose avec vous. Et puisque nous sommes les deux seuls musiciens restants, je me dis que c'était pour laisser la voix libre à Khamal.
Elle soupira, puis reprit.
- Ce n'est que le lendemain que j'ai pu parler, au petit matin, avec les personnes qu'il a si lâchement chassé d'ici, par la menace ou le même procédé qu'avec moi. J'espère que toutes ces personnes vont bien. Ensuite il y a eu les manigances d'Arman, découvertes par Podness. M. de Richevoie, dit-elle d'un ton ampoulé, semblait avoir à faire avec l'envoyé de Karkavec et je le suspecte d'être à l'origine du serpent dans le lit de Sallavïn.
Elle s'arrêta, plissant les yeux.
- Et enfin... Il y a quelque chose qui me tracasse avec le jeune duc.
Elle baissa la tête, silencieuse un bref instant.
- Mais je ne vous le dirai qu'après avoir reçu quelques gages de votre part à vous aussi, conclut-elle en souriant.
- Eh bien ma chère, je suis heureux de voir que nous partageons les mêmes conclusions. Le Duc m'a également proposé son marché tordu. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille. Comme vous. Mais au final, je reste un candidat parmi d'autres.
" J'ai aussi entendu des choses sur le jeune duc. Mais je ne vous les dirai que si vous m'avouez les vôtres. Ce qui me semble assez honnête.
Un sourcil s'arqua dans le visage de Kayla :
- Quel prudent serpent... Mais soit !
Elle prit une grande inspiration, légèrement crispée.
- Comme beaucoup de melessë, je n'ai ma place nul part, mais contrairement à d'autres, j'ai été coupée d'une moitié de mon identité très tôt dans ma vie... Comme Timothéos. Il semble... Si unique, si différent parmi ses paires, si seul. Et puis il y a son âge : 11 ans, la guerre s'est achevée il y a 8 ans et il y a son grand-frère décédé... Quoi ? Andréas et Irène se connaissaient-il suffisamment bien pendant ou avant la guerre pour... Enfin... C'est... Étrange. Mais j'ai du mal à mettre des certitudes sur mes intuitions.
- Intéressant. Je vais sans doute vous décevoir, mais je ne suis pas un spécialiste de l'histoire de cette région. Ni des affaires de cœur de la Duchesse. Je sais seulement... d'après ce que j'ai entendu... qu'Irene avait combattu aux côtés d'Andréas pendant une partie de la guerre. N'avez-vous pas vu ces deux tableaux dans la salle de réception ?
S'ils se connaissaient avant la guerre, ça ne me surprendrait pas qu'ils fussent aussi amants.
Dans ce cas, c'est une chose qui arrive, vous savez. Les enfants... Mais, vous savez, n'est-ce pas ? Comment ça marche.
Le rouge gagna à nouveau les joues de Kayla, mais elle réussit à maintenir un semblant de contrôle :
- Qu'est-ce qu'ont tous les humains de cette contrée à m'interroger sur des logistiques de procréation ? La duchesse et maintenant vous ? Vous savez que, chez les elfes, c'est grosso modo fichu pareil, non ?
Mercœur se mit à rire.
- C'est juste que vous semblez si... ingénue. Ça donne envie de vous taquiner. C'est tout.
- Et puis j'adore vous voir rougir ! ajouta-t-il après un silence.
- C'est tellement facile...
Elle eut brièvement l'air vexé, chassé très vite par un sourire qui, curieusement, ressemblait presque à ceux de Mercœur. Elle énonça d'une voix de velours :
- Si votre question est de savoir si je suis vierge, je le suis. Il suffisait de demander.
Mercœur haussa les épaules.
- Ça ne m'intéresse pas spécialement. À moins, évidemment, que vous n'envisagiez de passer de la théorie à la pratique en ma compagnie. Là, dans ce cas... C'est un détail qu'il vaut mieux connaître, en effet.
Elle rit.
- Cela ferait très certainement sourire ma mère, que je choisisse un humain lothrien, comme partenaire. Ce serait cocasse. Mais, vous savez, Mercœur...
Elle lova son visage dans son cou, respirant un souffle chaud et tranquille contre lui.
- Moi aussi je sais vous faire rougir d'un baiser sur la joue. Et vous êtes très mignon et très aimable, lorsque vous arrêter votre petit numéro d'insupportable, petit bardillon prétentieux. Lorsque vous risquez votre façade pour voler au secours d'une jeune femme que vous ne connaissez même pas. Pourquoi prendre ce risque ? Juste pour le plaisir de me faire rougir ?
Kayla avait gagné : les joues de Mercœur se tintèrent d'un joli rose, au diapason de celui des nuages flottant au-dessus de leurs têtes.
- Le crépuscule est magnifique, ce soir, dit-il comme pour faire diversion.
Il leva la tête vers le ciel coloré, sans répondre à ses questions. Un petit sourire rêveur se dessina sur ses traits. Son bras se resserra autour des épaules de Kayla.
- Et je vous remercie du compliment, ajouta-t-il enfin. Bardillon... C'est très mignon, en effet. Par contre, je proteste. Je ne suis pas petit.
- Vous n'êtes pas non plus beaucoup plus grand que notre chère Brindja, répondit Kayla.
- C'est vrai. Je pense qu'elle me dépasse, d'ailleurs. Ah là... Puisque c'est la taille qui compte, vous devriez peut-être changer d'épaule ? Je suis sûr que la sienne doit être au moins aussi confortable, dit-il, un tantinet vexé.
« En tout cas, avant que vous ne partiez, et pour vous prouver ma bonne foi, je vais vous dire ce que j'ai appris :
« Je ne sais pas si c'est vrai. Mais certains ici -- et j'entends aussi les domestiques -- soupçonnent Timotheos d'être né du mauvais côté du lit. Il semble qu'Anatole, son frère aîné, était le portrait craché de son père. Et sa petite sœur ressemble aussi beaucoup à Andréas. Seul Timothéos est différent, et ne partage rien en commun avec son géniteur. Un vilain petit canard, en somme. Même s'il n'est pas vilain, en vrai.
Mercœur haussa à nouveau les épaules.
- Après, ça arrive, de naître blond de parents bruns. Ce n'est peut-être qu'un bruit de couloir...
Kayla se blottit un peu plus contre lui, souriante, amusée, aussi de le voir si facilement vexé. Elle eut l'air un peu plus peiné en écoutant son récit et l'histoire de Timothéos.
- Oui, je vois ce que vous voulez dire. Pauvre garçon...
Elle resta un instant silencieuse, le regard dans le vide, les traits marqués par une sincère tristesse. Elle releva finalement ses yeux vers le visage de Mercœur, se tournant un peu plus vers lui dans le geste, ses mains, entre eux, posées contre son torse.
- Merci infiniment pour votre aide, Mercœur.
Elle sembla chercher ses mots un bref instant.
- Vous savez, vous gagnez à être apprécié et je... Je crois que je serais heureuse d'apprendre à mieux vous connaître. Après tout, vous portez en vous la moitié qu'il me manque.
Elle s'écarta finalement de la chaleur de leur étreinte et se releva lentement.
- Et avant que vous ne vous fassiez des idées, je suis à demi lothrienne, du côté de mon père. Mais il est mort bien avant qu'il ait pu m'apprendre grand-chose à ce propos... Bref ! Je crois que nous sommes attendus !
Elle se baissa avec élégance et tendit sa main au jeune homme.
- Allons-y ?
À voir les yeux écarquillés de Mercoeur, Kayla comprit qu'il s'était effectivement fait des idées.
Quoiqu'il en soit, il accepta volontiers sa main, mais sans non plus s'appuyer de tout son poids dessus.
- Pour apprendre à se connaître, faudrait-il encore être retenus ici tous les deux. Et je ne pense pas que ce soit au programme.
« Mais vous avez raison : le dîner commence à être servi. Et voilà l'intendant qui s'approche... Nous sommes encore rivaux, ma chère, mais plus pour très longtemps ! Voyons ce que le sort nous réserve...
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