À l'ombre des oliviers

Et la conversation tourna court. Sallavïn hocha la tête pour saluer le départ de la guerrière, croquant dans une miche de pain avec enthousiasme tout en détournant le regard, lorsqu'il avisa la blonde chevelure de Kayla, discutant avec Podness et Borés. Alors que leurs regards se croisaient, la musicienne le gratifia d'un grand sourire auquel il répondit par un vif hochement de tête, trop occupé à mâcher pour faire un geste plus cordial. Il s'approcha du groupe d'un pas mesuré, veillant à ne bousculer personne ni à renverser son plat.

C'est en s'installant auprès de ses amis de la veille qu'il se souvint des révélations du matin, en même temps que de la curiosité déplacée du gnome. Il resta muet en rejoignant leur conversation afin de ne pas s'imposer dans un dialogue auquel il n'avait pas participé, la mine soudain plus grave. Ils ne semblaient pas avoir évoqué les départs de la matinée et l'attention de Boréas à son égard força le melësse hors de son mutisme, sur un autre sujet. Syfar Syfar Syfar Syfar...

- Merci, je crois que nous avons fait de notre mieux et pour une première devant un tel public je ne suis pas trop mécontent... J'espère m'en sortir aussi bien après le déjeuner !

Se souvenant qu'il était peut être de son devoir de s'enquérir de la situation-voire de mettre un terme aux agissements les plus perfides- il se tourna vers Kayla en se raclant la gorge, tentant de prendre une contenance plus autoritaire.

- En savez-vous plus, sur les départs ? Vous avez été menacée également, non ? Le silence a déjà fait trop de tort à beaucoup de candidats, je crois qu'il est temps d'informer la duchesse de ce qui se passe dans son dos.

Ses joues rosirent à la remarque de Boréas sur les deux retardataires. Elle ne savait pas encore si on lui reprochait son action ou si elle avait bien fait, mais le dresseur ne semblait pas être de ceux qui lui tiendraient rigueur pour s’être mêlée de l’épreuve. Elle répondit donc, tout en avisant Sallavïn, l'invitant d'un sourire à les rejoindre :

- D’après ce que j’ai compris, ils ne les ont pas réveillés parce que leurs cuillères avaient disparu et ils ne connaissaient pas le visage des participants. Alors, comme ils ne voulaient pas non plus déranger tous les autres concurrents. Et je suis désolée d’apprendre que l’étalon soit à ce point brisé par les évènements, je suppose que ce n’est pas étonnant.

La jeune frimousse de la barde se froissa sous la réflexion. Si le noble destrier du duc et son fils souffrait du même traumatisme, peut-être qu’elle pouvait juger de l’effet de sa création sur les sensibles oreilles de l’équidé ? Cela lui semblait absurde, mais son grand-père disait souvent que les animaux étaient un public particulièrement exigeant et honnête.

- Boréas, j’espère que ma question n’est pas trop sotte, mais est-ce que vous pensez que… Je ne sais pas, que ma musique pourrait apaiser cet étalon ? J’ai composé la musique pour le jeune duc alors je me dis que… Peut-être ?

Elle soupira, secoua la tête, puis gratifia le groupe d’un sourire désolé qui se fit plus fin encore quand ses yeux se posèrent sur la mine muette du paladin. Lui en voulait-il pour l’avoir troublé au matin avec les informations qu’elle lui avait transmis ? Apparemment non, mais la résolution autoritaire, qu’elle entendait sonner dans sa, voix affectait son visage d’une façon qu’elle ne lui connaissait pas encore. Elle réfléchit un instant, devaient-ils déjà prévenir la duchesse ? Leurs preuves étaient minces pour accuser un homme aussi influent qu’un duc. Dans un geste apaisant, elle posa délicatement sa main sur le dos de celle du jeune homme, avant de prononcer doucement :

- Je n’ai pas été menacée. On m’a fait une proposition suspecte que j’ai refusé. Lillya l’a été, avec d’autres, apparemment, mais ils sont tous partis.

Elle fit une pause, ramenant ses doigts sur le bois de sa lyre avant de poursuivre :

- La seule preuve que nous avons c’est ce mot qu’elle m’a remis ce matin.

Avec précautions, elle sortit le message de sa poche et de déplia pour que chacun le lise avant de le récupérer pour le ranger soigneusement. Elle laissa à ses compagnon le temps de pondérer la situation, avant de donner son avis :

- Je sais que la maladresse de la typographie suggère un… Bras cassé, elle pouffa, mais pouvons-nous vraiment prévenir la duchesse avec des preuves si minces ? Contre un noble aussi influent que Bracassay qui plus est ? Je me sens impuissante face à la menace qui plane au-dessus de ces lieux. La mort du duc, celle de son fils, le traumatisme de l’étalon et le jeune Timothéos qui ne semble plus touché par rien… Doit-on encore alourdir l’esprit de la duchesse avec nos soupçons ?

Elle frémit et son visage se fendit brièvement dans une expression douloureuse avant de retrouver sa sérénité habituelle pour conclure :

- Mais si vous pensez que c’est notre devoir, Sallavïn, je viendrai avec vous exposer ce que je sais.

Un peu plus loin, la Duchesse et Damianos avaient terminé d'adresser leurs compliments aux deux vainqueurs. Ils invitèrent Brindja et Khamal à rejoindre le buffet et s'apprêtaient à s'éloigner en direction des tables réservées aux invités.

Le petit groupe était maintenant réuni, profitant d'une pause bien méritée. Tandis qu'ils bavardaient, ils entendirent une petite voix derrière eux... Derrière Sallavïn, pour être exact.

- Ahem-hum-heum. Excusez-moi... Est-ce que je peux... me joindre à vous ?

Il s'agissait d'une halfeline aux longs cheveux blonds ornés de perles multicolores. Dans son dos se trouvait un étrange instrument. Le paladin du groupe, en particulier, la reconnut aussitôt. Mais se souvenait-il de son nom ?
Dans ses mains, elle tenait une assiette bien remplie et un verre de jus de fruit.

À la mention de la musique comme moyen d’apaisement, Boréas sourit.
- « Ma foi, cela me semble une excellente idée. J’ai l’intention de retourner m’occuper d’Hermès cet après-midi. Je serais heureux que vous m’accompagniez. À nous deux, nous parviendrons peut-être à une résultat plus encourageant.»

Boréas leva un sourcil à la mention des menaces dont avait fait preuve Kyala. L’esprit entièrement tourné vers ses chevaux depuis son arrivée lui aurait-il fait manquer quelques inévitables intrigues de cours?

Il fallait bien se douter que certains participants chercheraient à tirer les résultats à leur avantage, c’est la nature humaine après-tout... Serait-il possible que les épreuves organisées cachent aussi des tests non officiels permettant à la duchesse de tester la droiture et la loyauté des concurrents ? ... Ou bien que l’un des courtisans de la famille cherche à placer un pion dans le décors ducal afin d’y avoir un espion, ou plus perfide encore, un moyen d’influence sur le jeune à former?

Ne laissant rien paraître de sa cogitation, Boréas décida de rester silencieux et calme, comme à son habitude. Ne pas se jamais mêler des affaires d’autrui permettait souvent de se retrouver confident. Il avait lancé le sujet, il laissa les autres interlocuteurs exposer leurs faits, lorsqu’une nouvelle personne se présenta.

- Bien le bonjour, madame...?

Kayla accueilli Pod avec enthousiasme, expliquant dans le détail le comportement surprenant et inattendu de Timotheos. Il partageait son constat, quelque peu alarmant pour la suite. Comment pourraient-ils lui enseigner quoi que ce soit tant qu'il était dans cet état d'esprit ?

- Je comprends mieux toute cette agitation et ces ressources déployées par la duchesse... intervint Pod dans un souffle. Il semblait parler pour lui-même.
" Elle doit être désemparée face à son fils... Impuissante !

Puis la barde changea de sujet, interrogeant Pod sur sa matinée. La mélancolie quitta alors son visage et un sourire l'éclaira alors qu'il répondait.

- Oh ! Eh bien, plutôt pas trop mal vu les circonstances... En quelques mots :
" Je me suis levé tard, pour constater que trois candidats de ma tente avaient déserté... sans savoir pourquoi.
" J'ai discuté avec un prêtre d'Aster sympathique nommé Janis.
" J'ai cherché en vain du matériel pour ma création mécanique...
" Et enfin, j'ai assisté aux premières épreuves comme vous !

Il pouffait presque, comme s'il se moquait de lui-même.

- Rien de passionnant donc ! Dit-il pour conclure, tout sourire.

Les autres les rejoignirent et la conversation évolua vers la raison des désistements. Pod tendit l'oreille, écoutant attentivement. Plus le temps passait, plus les complots et la fourberie semblaient baigner les lieux ! Le sujet précédemment abordé revint alors. Devaient-ils prévenir la duchesse ?
Mais avant que Podness puisse donner son avis, une nouvelle venue rejoignit le groupe. Une halfeline barde ? Boreas fut le premier à lui rendre son salut. Le gnome essaya de se rappeller s'il l'avait déjà vu parmi les candidats, se contentant de la saluer poliment.

La croûte croustillante du pain qu'il mâchait n'arrivait pas à le déconcentrer, aussi Sallavïn écouta-t-il Kayla avec sérieux, se penchant sur le mot pour le déchiffrer. C'était grave ! Très grave ! Le cœur du jeune chevalier s'emballa, tandis que dans son esprit se bousculaient cent idées pour rendre tenter de rendre justice aux malheureux qu'on avait menacé. Tâchant de se contenir, il expira :

- Bien sûr que c'est notre devoir ! Nous n'all... Hum ? Oh !

Tout en se rendant compte qu'il avait un peu trop haussé la voix pour son goût, le jeune homme se calma -ou essaya- et baissa les yeux sur son interlocutrice, reconnaissant difficilement la musicienne éplorée de la veille. Se joindre à nous ?

- Vous avez subi des menaces aussi ?

La lumière arriva aux étages alors qu'il constatait qu'elle le regardait d'un air curieux, tirant une petite gorgée sur son jus de fruit. Elle n'a pas de raison d'avoir été menacée, elle veut discuter avec nous, andouille...

- Pardonnez-moi. J'aimerai pouvoir parler à la duchesse, ou au moins à sa garde. Il se passe ici des choses que le Forgeron ne peut accepter, je dois en parler aux autorités.

Posant son assiette et son verre sur un coin de table avec la maladresse de la précipitation, Sallavïn épousseta ses gants en s'inclinant benoitement en direction de celle dont il avait -en effet- oublié le nom.

- Mes excuses. Je reviens.

Puis il se détourna sans autre forme de procès, enchaînant de longues enjambées en direction de la duchesse, mesurant toutefois son allure et pesant dans sa tête ses mots.

À la demande de Boréas, la petite blonde commença par donner son nom :

- Cymbeline Courtmanteau. Enchantée.

Puis elle observa Sallavïn, sans comprendre :

- Des… menaces ? N…non… Oh je vous en prie. Je voulais juste vous féliciter pour ce matin.

Elle observa, à regret, le melessë s’éloigner. Puis elle s’assit en tailleur au sein du groupe sans vraiment y avoir été invitée.

- Vous avez donc été menacés ? demanda-t-elle en chuchotant. Quelle honte…! On a essayé de vous pousser hors de la compétition, vous aussi ? Avez-vous des soupçons sur quelqu’un en particulier ?

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Damianos – qui était armé – réagit avant la Duchesse. Voyant Sallavïn approcher à grands pas, il prévint la Dame et se mit sur ses gardes. Tous deux l’observèrent un instant, mais ne constatant aucune menace dans son approche, Irene fit signe à son compagnon de relâcher la pression :

- Monsieur… Tamrel, si je ne m’abuse ? Bravo pour le spectacle ! Vous avez combattu admirablement bien. J’espère que vous nous pardonnerez pour les chevaux… Je vous avoue que je ne m’attendais pas à ce qu’ils soient aussi difficiles à manier. Sans doute l’éleveur a-t-il mal compris la commande. En tout cas, il n’y a eu aucun blessé grave, c’est l’essentiel.
« Vous… Y a-t-il un problème ? ajouta-t-elle à voix basse.

Un sourire sincère écarta les lèvres de la jeune femme en voyant une nouvelle barde se joindre à eux. Cymbeline Courtmanteau, malgré ses efforts, Kayla ne se souvenait pas d’elle, c’était pourtant un nom charmant pour une personne qui le semblait tout autant. Kayla allait justement inviter la jeune femme à se joindre à eux quand elle vit Sallavïn s’excuser, se lever et partir vers la duchesse. Lâchant un long soupir, la melessë commença à ranger soigneusement ses affaires (encore) pour suivre ce preux justicier qui partait émettre des accusations sans son témoin et la faible preuve qu’elle avait sur elle. Pendant qu’elle rangeait ses parchemins, elle répondit à sa consœur d’une voix aimable :

- Veuillez nous excuser, j’ai effectivement reçu une proposition pour un autre travail, la condition de mon embauche étant de quitter les lieux à l’aube. Ce matin, en cherchant deux candidats, j’ai vu que bon nombre d’érudits et de bardes avaient reçu des propositions similaires et d’autres, plus désagréables. Il vous est arrivé quelque chose de semblable ? Comme, apparemment, je dois en parler à la duchesse, je peux joindre votre voix à la mienne.

Elle écouterait la réponse de Cymbeline avant de récupérer ses affaires pour rejoindre au trot son confrère de sang-mêlé. Arrivée à ses côtés, elle le gratifierait d’un silencieux reproche tout contenu en un bref regard avant de s’incliner face à la duchesse et son beau-frère.

- Kayla Fal’San’In, je m’excuse de vous déranger alors que vous avez sans doute bien des choses à faire aujourd’hui, prononça-t-elle en cyfand, pour que Sallavïn puisse les comprendre.

[HRP] jet d'intelligence pour voir si Kayla parvient à se souvenir de Cymbeline [/HRP]

La dénommée Cymbeline s'installa avec eux. Pod se souvenait très bien d'elle et du moment où elle avait quitté l'entretien alors qu'il explorait la résidence à la recherche de passages dérobés. Elle était donc restée malgré son échec ?

Sallavïn ruminait les paroles de Kayla et ne pouvait se résoudre à attendre plus pour en parler à la duchesse... Comment pouvait-on lui en vouloir. D'ailleurs, lorsque la melessë expliqua de nouveau la situation pour la nouvelle venue, Pod eut un léger haut-le-coeur, prenant peut-être enfin conscience de la situation compliquée dans laquelle ils se trouvaient.

Kayla partit alors à la suite du justicier et le gnome eut du mal à ne pas les suivre. Il se fit violence et resta en compagnie de Cymbeline et Boréas, même s'il en profita pour observer l'assistance, inquisiteur.

- Si nos inquiétudes se vérifient, nous ne manquerons pas de focaliser l'ire des intrigants... murmura Pod, juste assez fort pour être entendu des deux autres.

L'entretien de ses amis avec la duchesse allait attirer le regard et l'inquiétude, il en était sûr. A lui de les débusquer ! [Sagesse: Perception/Intuition]

S'inclinant respectueusement devant la duchesse, recevant ses compliments avec toute la rougissante gêne qu'il pouvait contrôler dans cette situation, Sallavïn allait exposer ses arguments quand l'arrivée de Kayla à côté de lui le laissa sans voix, assez pour qu'elle prenne le temps de se présenter. Le chevalier enchaîna rapidement :

- Merci beaucoup duchesse. Cependant, je ne suis pas venu vous parler du tournoi... De nombreux candidats ont reçu des menaces ou ont été détournés de la compétition par d'autres biais, sous votre toit !

Il se retint de crisper son poing et expira lentement, se redressant de sa modeste taille dans une forme de garde à vous informel, ajustant l'intonation de sa voix pour n'être entendu que du strict minimum autour de lui.

- Cette situation a commencé dès hier soir, pardonnez moi mais je n'ai pas eu le temps de vous en parler avant. Qui sait combien de cavaliers émérites ou de tuteurs expérimentés se sont déjà éclipsés ? Souhaitez vous... Agir ?

Pour rhétorique que semblait être sa dernière question, il n'en était rien. Il fixait simplement de ses prunelles claires l'iris de son interlocutrice, prêt à accepter sa réponse. Sallavïn était prêt à admettre qu'il ne s'y connaissait pas assez en étiquette de la noblesse pour être sûr qu'elle se jetterait sur l'occasion pour châtier les potentiels malfaiteurs. Peut être était-elle déjà au courant et agissait avec la subtilité d'une enchanteresse. L'un dans l'autre, Sallavïn était soulagé, estimant avoir fait son devoir en l'informant, sans prendre le temps d'accuser vainement qui que ce soit.

Cymbeline était partagée entre la surprise face aux révélations de Kayla, et la déception de la voir partir, elle aussi.

- Non… Ce qui m’est arrivé est un peu différent. On a raconté des calomnies sur moi, ce qui m’a value d’être recalée dès la première sélection… En tout cas, tout ceci est véritablement inadmissible !

La barde hésita un instant à suivre les deux justiciers, puis se ravisa. C’est alors que Podness exprima ses craintes concernant la réaction des intrigants. Elle prit alors un air complotiste, plissa les yeux, et se mit elle aussi à examiner les alentours d’un air très sérieux. Trop sérieux ?

- Lui, là-bas ! Vous ne le trouvez pas étrange ? dit-elle tout bas, en indiquant l’un des nobles. Regardez comme il essaie de se rapprocher de la Duchesse… On dirait qu’il essaie d’entendre leur conversation.

En tournant le regard vers le noble en question, Boréas et Podness crurent reconnaître un envoyé de l’un des Duchés humains de Cyrillane. Lequel, ils n’en étaient plus très sûrs…

- Mmh… Tout ceci est très mystérieux. Prenez garde à vous, mes amis. J’aimerais, moi aussi, tenter de comprendre ce qui se passe ici.

Puis elle s’éclipsa, avec son assiette. Les deux hommes restés en arrière ne surent pas trop quoi penser à son sujet. Elle semblait un peu trop s’amuser de la situation présente. Et en même temps, l’homme qu’elle avait pointé du doigt donnait vraiment l’air de s’approcher discrètement de la famille Ducale, prétextant se servir en nourriture. Pas de façon menaçante, toutefois.

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Tandis que Salalvïn commençait à évoquer la question des menaces ou des détournements, Kayla put observer une lueur de panique dans le regard d’Irene. Une lueur fugace, il est vrai, mais bien réelle. Elle disparut presque aussitôt, laissant place à une expression courroucée.
Quant à Damianos, son beau-frère, il ne semblait pas à l’aise non plus. Il regardait à droite et à gauche l’air nerveux. Sallavïn, néanmoins, ne remarqua rien de tout ça.

« pardonnez-moi mais je n'ai pas eu le temps de vous en parler avant… » poursuivait ce dernier.

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que la Duchesse le coupa brusquement :

- Comment osez-vous… comment osez-vous seulement proférer de telles accusations ! s’écria-t-elle d’une voix allant crescendo. J’ai confiance en mes sujets et mes invités, quelque soit leur statut. Et je ne vous permets pas non plus de mettre en doute l’honnêteté des candidats que j’ai moi-même sélectionnés.
« Je ne veux plus entendre ce genre de propos, sinon vous me verrez obligée de vous rayer de la compétition !

Tandis qu’elle invectivait les deux melessë, elle tendait son doigt dans leur direction d’un air menaçant. Une fois qu’elle eut terminé, elle se couvrit la bouche de son autre main d’un air affecté, comme pour cacher un trop plein d’émotions. Elle gardait ses yeux fixés sur Sallavïn, comme si elle avait toujours du mal à croire qu’il ait osé proféré de telles allégations.

Damianos observait Irene sans ciller. Au bout d’un moment, il lui prit le bras, puis lui dit :

« Allons, venez, ma Dame. La suite des épreuves ne va pas tarder à commencer. Si vous ne prenez pas le temps de manger, vous risquerez de tomber en pâmoison en pleine compétition… »

Irene prit une longue inspiration, puis suivit son beau-frère, sans un regard en arrière pour les deux candidats, interloqués. Les gardes entourant le duo leur jetèrent un dernier coup d’œil appuyé en serrant les mâchoires, avant de se détourner eux-aussi.

Quand elle vit la peur faire place à la colère dans les yeux de le duchesse, Kayla serra inconsciemment les dents. Avant même que le moindre mot ne fut prononcé, sa main s’était discrètement blottie dans celle de Sallavïn, tirant imperceptiblement en arrière, comme pour revenir quelques secondes avant. Quand enfin le courroux de la dame éclata, son visage ne silla pas. Pas de sourire sur ses lèvres, pas de frisson le long de ses paupières, aucun pli ne vint rider la serène neutralité de ses traits mais, dans la paume du melessë, il pouvait sentir ses doigts trembler. Elle s’inclina légèrement, articulant sans trouble des excuses en cyrillan :

- Je vous demande pardon, nos craintes ont obscurci notre jugement, cela ne se reproduira plus.

Elle ne se redressa qu’une fois les regards détournés de leur duo. Elle sentit la main du paladin serrer brièvement la sienne, avant de s’en défaire. Un soupir résigné souligna le regard triste de la jeune femme, quand ses yeux vinrent chercher le bleu de ceux de Sallavïn. Elle tourna lentement des talons pour rejoindre le groupe. Elle marchait lentement, le dos droit. Rien dans sa posture ou dans son expression ne trahissait ce qu’elle pensait ou ressentait face à ce qu’il venait de se passer. Elle murmura au jeune homme, dans leur langue natale :

- J’ai demandé pardon, bien que nous n’ayons rien fait de mal. Je pense que ni vous ni moi n’avions l’intention de provoquer ce genre de scène.

Elle se tourna un peu mieux vers lui, il avait le regard troublé, mais ne semblait pas aussi atteint par la situation que ce à quoi elle s’était attendue. Elle se glissa face à lui et, tout en retrouvant un semblant de sourire :

- Sallavïn ? Tout va bien ?

Pod observait les spectateurs à l'affût de comportements suspects... mais il fit choux blanc. Par contre, comme le gnome le craignait, la réaction de la duchesse ne se fit pas attendre bien longtemps. Fulminant, elle n'acceptait pas les accusations du paladin sans preuves !

Mes pauvres amis ! Désolé que vous soyez ainsi la cible de l'ire d'Irène.

Soudain, Cymbeline lui fit remarquer l'un des convives. Il semblait s'agir d'un invité de marque.

Oui... Hum... Je dois en savoir plus.

- Sieur Boreas, je vous laisse prévenir nos courageux amis, je vais en apprendre plus sur cet intriguant. chuchuota Pod.

Puis, veillant à ne rien laisser paraître, Podness s'approcha de sa cible, prenant des chemins détournés. Avait-il des acolytes ? S'il échangeait avec eux, il pourrait en apprendre plus...
Dès qu'il était sûr de ne pas être observé, il observait l'homme attentivement. Etait-il armé ? Un blason ou un signe d'appartenance était-il visible ?

Inutile de se mentir : la réaction de la duchesse fit devenir Sallavïn pivoine. Comme la plupart des créatures non masochistes, se trouver au centre de l'attention d'une large public pour être grondé ne lui plaisait pas plus que cela. Pire ! C'était une atteinte à ce qu'il avait voulu prévenir et à son honneur ! Même s'il s'était préparé à être mis de côté dans cette histoire, cet opprobre public manqua de le faire se décomposer et il ne garda sa contenance que grâce à un réel effort de volonté -et sans doute un début d'habitude de la chose.

Mais alors que la duchesse couvrait sa bouche pour dissimuler sa gêne, le chevalier retrouva des couleurs normales. En fait, le changement fut si brutal qu'il se força cette fois pour ne pas pousser un profond soupir de soulagement. Alors voilà la subtilité d'une enchanteresse !

Il pressa doucement la main de Kayla pour la rassurer discrètement tandis qu'ils se retiraient et il répondit à ses angoisses en elfique également.

-Tout va bien. La duchesse est informée, c'est le principal. Cette histoire ne nous concerne plus.

Tandis qu'ils rebroussaient chemin vers les compagnons qu'ils avaient plantés là, Sallavïn ne trouva finalement que la chevelure de Boréas dépassant timidement de la foule, mais aucune créature de petite taille à ses côtés. Reprenant son assiette comme si de rien n'était, le jeune sang-mêlé croqua dans une aile de volaille d'un air pensif, avant de demander au dresseur :

- Confiant pour cet après midi ?

Intrigué par les soupçons de la halfeline, Podness s’était approché du notable en essayant de se fondre dans la foule. Ce n’était pas spécialement facile, car les gens restaient rarement immobiles. Mais sa petite taille l’aida à passer inaperçu, d’autant que l’envoyé ducal ne prêtait pas du tout attention à ce qui se passait dans sa direction.
Il prit tout son temps, évitant soigneusement de se faire remarquer, et parvint enfin à avoir un bon aperçu du personnage.

L’homme en riche livrée avait une quarantaine d’années. Il ne semblait pas armé, et portait un insigne sur la poitrine : une sorte de Dieu Triton muni d’un trident. Podness avait déjà vu ce blason ! Mais où ? Fouillant très fort dans sa mémoire, il finit par s’en souvenir : il l'avait aperçu sur une vieille carte de l'Empire. C’était le blason du Duché humain le plus au sud de Cyrillane. Au prix de gros efforts, il parvint même à se souvenir de son nom : le Duché de Karkavec. En revanche, il ne connaissait pas le nom du Duc régnant sur la région – et qui avait manifestement choisi de dépêcher un envoyé à sa place.

Il avait beau observer, le gnome ne put vraiment distinguer quoique ce soit de suspect. L’homme était seul. Il se servait à manger, tout proche des gardes entourant la Duchesse. Il semblait soucieux et fronçait les sourcils, la tête basse.
Lorsque Irene et son compagnon s’éloignèrent, il s’écarta simplement, leur jetant un rapide coup d’œil. Puis ce fut tout. Podness avait beau rester planté là, il ne passait plus rien d’intéressant.

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Le reste du groupe fut bientôt réuni à nouveau. Boréas n’avait pas bougé. Il profitait simplement de ce moment de calme pour se reposer. Il tenta aussi de repérer Mercœur dans la foule. Le barde déjeunait tranquillement, papotant de ci et de là d’un air tranquille et suffisant. Il jetait de temps à autre un œil du côté des invités. Mais rien ne laissait penser qu’il préparait un mauvais coup.
De temps à autres, candidats ou invités s’éloignaient pour se rendre aux toilettes sèches, plus loin dans les jardins. Rien d’anormal, à première vue.
Lorsque Sallavïn le rejoignit, il se mit à rire en réponse à sa question :

- Si je me sens confiant ? Non, pas vraiment, répondit-il. J’ai assez peu d’espoir de pouvoir monter Hermès dans les deux jours qui viennent. Et ce ne serait pas une bonne idée de le forcer ou de précipiter les choses. En tout cas, j’espère que mes diablotins sauront mieux se tenir pour la prochaine épreuve. Je vous aiderai du mieux que je peux à vous mettre en selle…

En parlant de prochaine épreuve, l’intendant s’avançait justement sur la scène centrale.

« S’il vous plait, un peu d’attention ! J’espère que vous avez pu profiter à loisir du buffet, et su vous remettre des émotions de ce matin. Je vous invite maintenant à rejoindre la carrière pour les deux prochaines épreuves : celle des joutes équestres, puis celle du tir à l’arc. Merci ! »

Une clameur générale salua cette annonce, et la foule se mit doucement en mouvement vers le lieu indiqué.

La réaction du melessë la troubla quelque peu. Elle aurait cru qu’il aurait été plus surpris ou choqué par la réaction de la duchesse, mais il semblait si… Calme. Ses sourcils se froncèrent légèrement le long de son front en une expression vaguement contrariée. Avait-elle sous-estimé le paladin ? Elle allait lui poser d’autres questions, quand Sallavïn la prit de court et s’adressa à Boréas, reprenant une conversation agréable qu’elle n’eut pas le courage de troubler. Toute occasion de parler à nouveau de l’altercation avec la duchesse s’envola, lorsque l’intendant les invita à se rendre à la carrière pour assister aux prochaines épreuves.

Kayla lâcha un bref soupir et se releva. Elle hésitait ; devait-elle aller encourager Sallavïn et Boréas ? Ou plutôt trouver un coin tranquille pour répéter ? Ce qu’elle avait prévu requérait un peu d’entrainement, et elle ne pourrait tout de même pas jouer dans les gradins. Dommage, elle aimait bien le tir à l’arc. Avec un petit air contrit elle s’excusa auprès des deux participants :

- Bon courage à vous deux, j’espère que vous passerez un bon moment. Je vais aller répéter un peu de mon côté, j’ai besoin de m’exercer. Si vous voulez me retrouver, je serai du côté de l’arbre où nous nous sommes retrouvés hier soir. Bonne chance à vous !

Elle allait tourner les talons quand elle se rendit compte d’un léger oubli de sa part. Elle inclina finalement la tête vers le petit blond pour lui dire, en elfique :

- Oh, et j’avais oublié de vous dire, vous étiez incroyable pendant les duels. Je ne pensais pas que j’aurais pu assister à tant de beauté lors d’une passe d’arme. Merci pour ce spectacle !

Puis elle s’en fut en trottinant avec son sac et sa lyre.

Le duché de Karkavec... hum...

Finalement, cet homme donnait juste l'impression d'être très curieux... Un peu comme lui en somme ! Mais même après plusieurs minutes à attendre, Pod ne put constater plus d'informations intéressantes. Engagé comme il était dans son rôle d'espion, il n'avait pas surveillé Boréas et les autres et ce n'est que lorsque l'intendant annonça la suite des épreuves, qu'il en prit conscience.

Mais... où sont-ils ? Ah oui !
Tiens ! Ils ne semblent pas se soucier le moins du monde d'où je me trouve... Non, Boreas les as prévenus tout simplement. Et ils évitent de me regarder pour ne pas éveiller les soupçons sur moi, voilà tout !

Le gnome rejoignait ses compagnons qui apparemment se séparaient. Alors que les deux hommes prenaient la direction des épreuves - Sallavïn devait concourir - Kayla avait visiblement décidée de rester dans le coin.

N'empêche, ils jouent bien la comédie ! On dirait vraiment qu'ils m'ont oublié...
L'avantage d'être petit !

Soudain, Podness stoppa net. Une idée illuminant son esprit.

Mais oui ! Voilà qui devrait m'aider...
Si je passe si facilement inaperçu !

Persuadé d'avoir eu la meilleure idée de l'année, il se dirigea vers les lieux d'aisance. Il avait l'intention de s'y cacher le temps que tous s'installent dans les gradins. Comme ça, il aurait le champ libre.
Et puis, il irait bien se soulager un peu...

La conversation tourna court alors qu'une nouvelle annonce sonnait la fin du déjeuner. Un instant, Sallavïn se demanda s'il avait bu assez d'eau et il jugea que non, avala une lampée, puis posa ce qu'il n'avait pas fini d'engloutir. Comme Kayla annonçait son départ, il la salua de la tête avec une expression qui se voulait rassurante et encourageante, avant de suivre Boréas d'un pas lent, essayant de calmer son rythme cardiaque et les œillades que lui jetaient ceux qui avaient entendu la duchesse lui crier dessus.

Elle est au courant, mais je ne peux plus lui en parler directement. Cela dit rien ne m'empêche d'être vigilant...

Un autre que lui aurait tenté de laisser courir le bruit qu'il pensait peut être abandonner après ses résultats du matin, pour attirer à lui les serpents avides de le faire basculer dans l'échec. Malheureusement -ou heureusement, peut être, l'avenir nous le dirait- le jeune melësse n'était pas du genre à fabriquer de tels plans farfelus et il se contenta de se préparer mentalement pour la prochaine épreuve.
Gourmand, surnommé Syfar, avait eu tout le temps de se reposer. S'il avait manqué de talent pour le diriger ou contrôler son allure, peut être que le tracé d'une joute serait plus adapté pour lui ? Si le contrôle du cheval devenait moins central, Sallavïn espérait bien s'en sortir. S'il complexait souvent sur sa petite taille et son inutilité au combat, quelqu'un lui avait dit autrefois que cela constituait un avantage certain pour un lancier, plus délicat à toucher, au centre de gravité plus proche de sa monture et donc moins apte à chuter. Sallavïn serra son poing. Il allait s'en sortir cette fois !

Après l’annonce de l’intendant, la foule se mit lentement en mouvement. Certains prirent le temps de finir leur verre ou leur assiette. D’autres partirent déposer quelques affaires dans leurs tentes (ou en récupérer). D’autres encore se dirigèrent vers les lieux d’aisance. Il fallut une bonne demi-heure avant que tout ce joli monde se retrouve autour de la carrière.

Grâce aux bons soins du maître d’écurie et de ses assistants palefreniers, les petits diables avaient de nouveau été déplacés, de façon à pouvoir commencer rapidement la prochaine épreuve. Dans la carrière en elle-même, quelques panneaux de bois s’alignaient en plein centre, découpant le terrain en deux galeries. Enfin, une dizaine de longues lances en bois, à l'extrémité rembourrée, épaisses et torsadées, s’alignaient le long des barrières. Il y en avait de toutes les couleurs. Un bac rempli de boucliers (en bois coloré, également) était placé non loin.

Avant même que tous les candidats ne soient rassemblés (on nota quelques retardataires, dont Brindja et Arman), on présenta bientôt un bol en terre cuite à la petite demoiselle (la fille de la Duchesse). Irene lui demanda de piocher les noms des participants, deux à deux. Et Damianos annonça le résultat à la ronde :

Les premiers duo seront composés de :
Sallavïn et La Paladine – Boréas et Khamal – Brindja et Arman

Le temps que les derniers invités et candidats rejoignent la carrière, on invita les participants déjà présents à choisir leur couleur.

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Pendant ce temps-là, Podness s’était éloigné de la foule, profitant du mouvement pour se déplacer sans se faire remarquer. Il passa à nouveau près de l’arbre où viendrait (ultérieurement) s’installer Kayla, puis continua toujours plus loin, jusqu’à atteindre les cabines en bois tenant lieu de toilettes.
Le gnome était loin d’être le seul à se diriger vers les lieux d’aisance : quelques invités et candidats – dont Brindja, Arman et Lian –avaient aussi une envie pressante à soulager.
N’osant pas s’imposer, Podness céda la place aux plus pressés, qui firent la queue devant chacune des 5 cabines. Profitant du fait que tout le monde lui tournait le dos, Podness avisa une statue massive en forme de lion, et décida de se cacher derrière… sans vraiment savoir pourquoi.

Depuis sa cachette de pierre, le gnome observa alors la fascinante progression des différentes files d’attente… Il aperçut évidemment quelques têtes connues, dont le fameux envoyé du Duché de Karkavec. Plus d’une fois, Podness se demanda bien ce qu’il fichait là, à épier les gens venus vider leurs vessies… Franchement, qu'est-ce qui lui avait donné une idée pareille ?

Au bout d’une vingtaine de minutes, il ne restait quasiment plus personne. Deux cabines étaient encore occupées, les autres étaient partis rejoindre la carrière.
Podness, un peu blasé, observa le notable quitter l’une des deux cabines encore occupées… Toutefois, il fut surpris de ne pas le voir rebrousser chemin. Au lieu de ça, il vit l’homme observer autour de lui, puis cogner aux portes de chacune des autres cabines ! Il cognait avec un rythme un peu particulier (Podness ne l'entendait pas, mais distinguait les mouvements de son poignet).
Enfin, l'envoyé ducal s’arrêta devant l’une des cabines (son occupant lui avait peut-être répondu ?), ouvrit la porte… puis entra à l’intérieur.
Hélas, Podness était trop loin pour entendre quoique ce soit… et il se maudit de n’avoir pas été plus attentif ! Il ne parvenait pas à se rappeler de la dernière personne entrée dans la fameuse cabine…

Bon, je vais faire semblant d'aller aux toilettes, puis quand tout le monde sera partit... Je pourrais fureter tranquillement. Je trouverais bien quelque chose !

Son idée en tête, Pod rejoignit les cabanons assez rapidement. Il constata qu'il était loin d'être le seul !

Aaah, mais il y a des têtes connues ici...
Oohh ! Attends toi !

Pod avait reconnu l'homme qu'il surveillait un peu plus tôt. Jettant un rapide coup d'oeil alentour, il choisit une statue proche comme cachette, son intuition lui dictant ses actes.
Et cela ne manqua pas. Surprenant un curieux manège, il vit rentrer monsieur de Karkavec dans la cabine où... qui déjà... se trouvait déjà.

Bon, pas à hésiter !
A droite ? A gauche ? Derrière ?

Qu'est-ce qui se passe là dedans ?
J'aurais peut-être dût lancer mon armure magique... C'est trop tard maintenant.