Cymbeline Courtmanteau
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Pendant ce temps-là, depuis son tonneau vide proche de la cantine, Cymbeline commençait à trouver le temps long. Elle ne sentait plus sa jambe droite depuis longtemps, et son dos commençait à crier son inconfort. Lentement et sans bruit, elle remua ses muscles endoloris et tenta de se placer un peu mieux… sans grand succès. Elle devrait sortir de là bientôt sous peine de rester pliée en quatre toute sa vie ! — du moins c’est l’impression qu’elle en avait. De toute façon, l'équipage avait fini de dîner, et elle n’apprendrait rien de plus en restant tapie là.
Les alentours semblaient tranquilles. Elle commença par soulever le couvercle en bois pour y jeter un oeil. Personne en vue.
Aaah, par tous les Diantrefosses de l’Inframonde… Que m’a-t-il pris de choisir une cache si étriquée ? se demandait-elle en se redressant progressivement, laissant le sang circuler à nouveau dans ses membres inférieurs.
Quel métier à haut risque tu fais, ma Cy' chérie ! Aouch… Et puis cette cheville qui… Oh non, OH NON, qu’est-ce que c’est ? Oh !
Une légère sensation de chatouillement au niveau de sa cheville lui fit craindre le pire : serait-ce une araignée se hissant sous ses chausses ? Réprimant un gémissement de dégoût, elle balaya l’importune d’un geste vif et s’extirpa du tonneau en moins de temps qu’elle n’avait sifflé son verre de rhum.
Écoeurée à l'idée d’avoir partagé l’antre d’une de ces immondices poilues, elle s’examina à la lueur de la lanterne (ou torche) la plus proche pour vérifier que d’autres ne s’étaient pas accrochées — par mégarde ou par vice — sur sa personne.
Une fois rassurée, elle soupira puis se frotta énergiquement les jambes afin de retrouver complètement ses sensations.
Au moins, cette prise de renseignements ne fut pas inutile. L’équipage me semble inoffensif, et n’a même pas l’air trop rancunier. Pas envers nous, en tout cas. Le capitaine, c’est une autre histoire. Et il semble avoir quelques vilains petits secrets dans ses tiroirs... Aaah, nous y sommes, je peux marcher ! Bien…
Bien…
… Mais que faire maintenant ? J’adorerais voir à quoi ressemble l’agencement des meubles du côté des officiers…Mais si l'on m'y surprend, je risque de passer directement par-dessus bord. Quant à ce « Khetep » dont les matelots parlaient si mal… Je l’ai aperçu plus tôt, mais plus ensuite. Est-il rentré dans sa cabine ? Pourquoi n’est-il pas allé dîné ? Craint-il de salir ses robes en foulant le pont ?
Tout en réfléchissant, Cymbeline était parvenue sur le tillac et tentait de repérer les têtes familières malgré l’obscurité. Le capitaine était-il visible ? Et le bosco ? Et ce Khetep, était-il quelque part ?
Elle croisa bientôt -- et par hasard -- le regard de Gerald qui, à en croire les ragots, semblait l’apprécier. Laissant glisser son capuchon sur ses épaules, la musicienne lui adressa son sourire le plus charmant – leçon numéro 1 du fouineur professionnel : ne jamais cracher sur des pions potentiels. Comme il était de quart, elle n’osa déranger le jeune marin plus longtemps. Et quelque chose lui disait qu’il viendrait bien tout seul, si l’envie lui prenait.
Elle avisa aussi le couple de bourgeois, assis l’un près de l’autre contre le bastingage, comme deux oiseaux roucoulants. Comme ils n’avaient sûrement pas besoin d’elle, Cymbeline chercha un autre coin tranquille où elle pourrait jouer en sourdine pour passer le temps – et l’aider à réfléchir.
Ce petit tas de cordages, là-bas au fond, semblait parfait pour ça. Elle s’installa, détacha son dulcimer de son dos et ferma les yeux un instant, en quête d’inspiration. Quelques notes lui vinrent alors… et les paroles suivirent bientôt. D’abord hésitantes, puis plus assurées, et suffisamment douces pour ne pas risquer de s’attirer les foudres du chef de bord :
Quand une humble barde
Reçoit la grâce d'une traversée
Avec Gerald le gabier,
Vint alors cette balade…
Du moment où il s'est battu,
Bravant la mer et le vent,
Puis s’élevant dans les airs,
Redressant le cap perdu !
Jette une pièce à ton loup d’mer,
Oh, rivages d’abondance…
Oh, rivages d’abondance, oh !
Jette une… (…)
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