Cymbeline Courtmanteau
|
Qu’ils sont mignons, se disait la musicienne en observant le couple. Toutes ces petites attentions, ces gestes d’amoureux, ces étoiles dans les yeux… On le voit bien qu’ils sont mariés depuis peu. Ce n’était pas la même affaire avec mes parents…
La vision de sa mère brandissant sa louche et traitant son père de bon à rien lui traversa l’esprit. À sa connaissance, ils ne s’étaient jamais frappés. Mais bon. Elle ne les avait jamais vu s’embrasser non plus. Quant à Cymbeline, les seules fois où elle était tombée amoureuse, c’était de ses personnages de contes et romans qu’elle lisait petite. Il y avait bien cet ami enfance pour qui elle avait eu le béguin. Mais il était devenu tellement laid l’adolescence venue qu'elle en avait vite guéri. En tout cas…
- J’ai bien une dague quelque part sur moi, répondit-elle à Nedru… J’espère vraiment ne pas avoir à m’en servir. Au pire des cas, nous sommes dans une cuisine. Les couteaux sont-ils bien aiguisés ?
« Pourquoi je fais ce voyage seule ? »
La halfeline, agitant ses jambes dans le vide, réfléchit un moment avant de se lancer dans une nouvelle tirade passionnée :
« À vrai dire, je ne voyage seule que depuis peu. J’ai longtemps suivi mon mentor sur le continent du Cyfand, et puis j’ai pris mon indépendance. C’est la première fois que je voyage aussi loin et sans personne… C’est plutôt grisant, mais intimidant aussi, je dois bien l’avouer. Et pas très rassurant…
« Je suis en Acoatl pour plusieurs raisons. Disons que… certaines de mes chansons n’ont pas été… très appréciées à la Cité Franche. Et que je… heu… Bref.
« Quant au comptoir de Laälmath, il s’y trouve un gouverneur dont j’aimerais beaucoup faire la connaissance. Parait-il qu’il s’agit d’un ancien pirate ! Le saviez-vous ? S’il accepte de me narrer son parcours, je suis certaine de pouvoir écrire les meilleurs textes de ma vie !
Pendant qu’elle s’enthousiasmait ainsi, Elindine gratifiait le nain d’un petit avant-goût du dîner. Celui-ci la remerciait, insinuant au passage que d’autres, dans cette même pièce, s’étaient montrés méchants envers lui. La halfeline haussa un sourcil, se demandant ce qu’elle avait bien pu lui faire. Quant à Nedru, si elle ne connaissait toujours pas la cause de son différend avec le dvaerg, elle avait du mal à imaginer comment ce grand-bourgeois-gentilhomme pouvait lui avoir causé du tort. Ou peut-être avait-elle compris de travers ? Après tout, le Cyfand d’Einarr était à peine plus intelligible à ses oreilles que lorsqu’il parlait nain.
Cymbeline se pencha un peu, tendit bien l’oreille et rassembla tous ses efforts pour faire du sens à ce qu’elle entendait. Au final, elle ne comprit que trop bien les propos qu’Einarr lui jeta au visage. Elle se redressa et ouvrit de grands yeux perplexes, son visage passant du rouge cramoisi à un blanc de craie en quelques secondes. Elle ne s’attendait pas à cette déferlante de reproches de la part d’un dvaerg qu’elle connaissait à peine. Lorsqu’il eut fini, un long silence gêné s’installa entre les passagers.
La musicienne convenait qu’il y avait du vrai dans tout ça : elle était consciente d’avoir pris des risques en s’adressant ainsi au capitaine. Mais entre ça et risquer une attaque pirate à cause d’une prise de décision inconsidérée, elle avait choisi. Elle aurait pu y mettre les formes, c’est vrai. Mais l’aurait-on écouté alors ?
- Je… suis désolée ? finit-elle par dire, hésitante. Je vous ai fait peur, sans doute. Pardonnez-moi, Ein’. J’imagine que je ne vous facilite pas la tâche, ajouta-t-elle en riant et en haussant les épaules. En tout cas, si nous survivons à cette traversée, ce sera probablement grâce à vous. Merci pour votre support.
|