Nezami
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Dans la bibliothèque de Marlborough
Le vieil homme s'éclipsa dès les informations prises et se mit à farfouiller avec une habileté et une expertise évidente entre les rayons. La recherche dura pour autant plus d'un quart d'heure... sinon plus. Pendant ce temps, une servante était entrée pour amener à l'invité un thé fumant et quelques biscuits qu'elle déposa dans une sorte coin salon. Sans un mot, sans un regard, elle fit son office, présenta les mets à Nedru et ressortit.
Finalement, le vieil homme, qui avait indiqué s'appeler Evariste, revint les bras chargés de plusieurs ouvrages qu'il répartit en trois tas sur l'une des grandes tables de travail.
- Voilà d'abord plusieurs ouvrages originaux sur la fondation de la cité. Vous verrez que la famille du maître de ces lieux a, dès sa création, été bâtisseuse.
La première pile comprenait trois épais cahiers qui semblaient écrits à la main. Les armoiries des Marlborough figuraient sur la couverture du sommet de la pile. Sans les ouvrir, Nedru imagina que ces ouvrages devaient être des récits ou chroniques écrites en Cyfand. Plutôt facile à lire mais qui restaient épais. Il lui faudrait bien deux heures pour en analyser le contenu et dix heures du matin avaient sonné depuis un bon moment.
- Ici, vous trouverez deux ouvrages compilés par plusieurs érudits venus spécialement pour étudier la région. Sa géographie, sa faune... Et voici un encore plus spécifique qui porte sur les populations indigènes. Enfin, ces carnets ont été rachetés à des explorateurs des ruines il y a quelques mois.
La pile comptait donc deux ouvrages assez denses en cyfand imprimé, un autre d'une teneur plus artisanale dont le langage était, a priori, plus intimiste. Enfin, le dernier recueil était en fait un assemblage de notes en plusieurs langues. Il faudrait bien la journée pour venir à bout de toutes ces informations à moins de faire des choix et de disposer d'aptitudes surhumaines pour absorber ce genre de connaissances.
- Et voilà quelques petites trouvailles un peu spéciales. Rien de précis sur la fameuse couronne dont vous me parlez mais vous y trouverez sans doute votre bonheur.
Cette fois, il n'y avait qu'un carnet extrêmement fin accompagné de trois rouleaux de parchemin. Malgré leur taille réduite, le sorcier savait que ces choses là prenaient bien plus de temps que la simple liste de courses à laquelle elles ressemblaient pour les profanes.
- Si cet aspect vous intéresse plus intensément, vous devrez par contre en discuter avec Monsieur de Marlborough. J'espère que vous me comprenez. Je ne suis qu'un humble servant. Mais je vous laisse travailler en pain. Si vous désirez quelque chose, vous n'aurez qu'à sonner.
En effet, Nedru réalisa qu'un ruban pendait à côté du petit salon. Sans doute à cet effet.
Qu'allait faire notre ami maintenant que le vieil Évariste s'éclipsait ? il savait qu'il n'aurait pas le temps de se pencher sur toutes ces informations à la fois. D'autant plus qu'il devait rejoindre ses amis... Sans parler du prêtre qui devait poireauter on ne savait où. Par quel aspect allait-il commencer son étude ? Et combien de temps pouvait-il y consacrer ? Comment comptait-il s'organiser ?
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Dans les Faubourgs
Le nain parut rassuré par le franc parler des jeunes femmes.
- Laissez-moi vous conduire auprès des miens. Je leur expliquerai tout cela. Le conseil comprendra sans doute votre position.
Il acclimata sa phrase d'un clin d’œil qui n'avait rien de graveleux mais se voulait plutôt encourageant. Il se tourna vers un nain demi-portion (c'est dire !) qui trainait à côté d'eux sans même qu'ils l'aient réellement remarqué et il lui adressa quelques borborygmes rugueux. Instantanément, le petit nain détalla.
- Et pour notre autre histoire, j'ai peut-être une solution mais n'en parlons pas là. Chuchota-t-il l'air de rien en se grattant la barbe.
Ils se dirigèrent vers le centre de cet étrange complexe à la fois pierreux, ferreux, terreux. De bric et de broc mais aussi incroyablement cohérent. Un agencement d'une logique autre que celle que connaissent les gens de la cité franche mais tout aussi rationnelle.
A l'entrée d'une sorte de petite arène couverte, Jardag les invita à entrer sous la surveillance de deux barbus à l'air sévère. On leur proposa de s'assoir sur un bloc de granit peu confortable, et avant qu'elles aient pu dire quelque chose, des chopes de bière et de petites brochettes de viande (dont il valait mieux ne pas imaginer l'animal), leur étaient apporter pour le "moyen-déjeuner".
- Nous en auront pour quelques minutes, garantit leur nouvel ami.
Le conseil avait-il réussi à se réunir en ces quelques instants ? Ou les membres étaient-ils encore attendus ? Difficile à dire. Quoi qu'il en soit, les deux femmes ne virent entrer personne qui leur parut de première importance. Quelques navettes tout au plus. En revanche, elles comprirent qu'elles n'avaient pas la même notion du temps que les nains car elles poireautèrent une bonne heure avant que la salle principale ne s'ouvre, laissant s'épancher un tonnerre de barrissements. Jardag passa la tête et les invita à entrer.
A l'intérieur, La salle n'était pas très grande mais semblait pouvoir prévue pour contenir une foule compactée sous un dôme aux poutres d'acier assez étonnantes. Le centre était sablonneux et semblait pouvoir accueillir diverses manifestations. C'est là qu'elles se tenaient.
Contrairement à ce que leur imagination avait conçue, il n'y avait, outre quelques gaillards à l'air d'hommes de main derrière elles, que six personnes assises sur des fauteuils de pierre. Et ces personnes vrombissaient littéralement en agitant les bras. Deux semblaient très agés mais ne déméritaient pas. Les autres devaient avoir l'âge de Jardag et arboraient diverses décorations cicatricielles. L'un était particulièrement gros. D'aucuns diraient "obèse" sauf que son volume semblait se doubler d'une densité impressionnante.
Jardag regagna le perchoir à côté de ses compagnons qui, le voyant, finirent par se calmer, et l'un des deux très vieux se dressa :
- M'dames, suis Umnir Brungtharm, membre du conseil d' sept, se présenta-t-il. J'été désigné pour porter la dé'sion coll'tive.
Il fit une pause très longue, qui pouvait laisser sous entendre qu'il attendait une présentation des jeunes femmes, mais avant qu'elles ne le fasse, il reprit :
- Nous p'nons les form'tions que v'z'avez fournies com' cadeaux précieux. Person, puis eu mois, tait v'nu de sô plé gré d'scuter de c'choses vé nous. Jardag, qui gèr lations d'plomatiques (oui il disait "diplomatique"), av ben senti queques b'ouilles mais... D'où, vous mecions. Bo Jardag... J'v'po fini la splication ?
Le nain roux se retint de sourire mais les deux femmes sentaient un amusement amical dans ses yeux :
- Bien sûr, Maître Brungtharm. Nous vous assurons, Mesdames, de vous aider dans votre entreprise, articula-t-il pour contrebalancer son penchant social à manger les mots. Nous pourrons vous présenter des hommes ayant travaillé là-haut... mais sachez que leur état de santé n'est pas très bon. Votre proposition de parler au gouverneur nous va droit au coeur mais nous doutons de ses effets. En revanche, vous pouvez compter sur notre aide pour...
- Pas suicide, Jardag ! Le morigéna Umnir avant qu'il ait fini sa phrase.
- Mais, comme le souligne Maître Brungtharm, nous attendons de vous de ne pas nous faire courir des risques inconsidérés et d'être le plus claires possibles sur vos intentions.
Sur ce l'assistance commença à s'agiter et Jardag, le plus gentiment du monde, les invita à sortir en leur compagnie. Les jeunes femmes avaient une image plus digne des nains mais était-elle si réaliste ?
Une fois dehors, Jardag les prit une nouvelle fois à part:
- Merci encore pour votre aide. Je vais devoir poursuivre les discussions avec mes co-conseillers mais vous pouvez compter sur notre aide. Repassez à un autre moment et je vous conduirai voir nos infortunés compagnons. Pour notre autre affaire, rendez-vous à la porte nord quand l'astre commence à tomber derrière la colline.
Et après un salut qui se voulait fraternel mais qu'Elindine sentit un peu pressé, il s'engouffra au milieu du Maëlstrom des voix gutturales qui s'échappaient de la porte entrouverte.
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Dans la cave
Irina eut l'air un peu triste en écoutant le prêtre. Non. Plutôt assombrie. Mais pas par les paroles de celui-ci. Plus par la situation. Elle prit son temps avant de répondre.
- Même si mon idée de génie avait été d'étriper tous les "cul-poudrés", je doute que nous en ayons les moyens. Non seulement le gouverneur dispose d'une garde assez conséquente - bien que dépenaillée - et d'une brigade redoutable de gardes du corps halfelins, mais chaque famille entretient une petite armée privée. Sans parler de la compagnie blanche qui fait froid dans le dos. Et dans tous les cas, je n'ai que faire de la vie ou la mort de ces gens. Ce que je veux, c'est que mes enfants vivent bien. Et tous les enfants des quais avec eux.
Elle se gratta la tête, comme si elle hésitait à aller plus avant et finit par lancer une discussion assez longue avec Fëanor sur ce qu'était la vie dans cette ville depuis un mois mais aussi avant le début des troubles. Elle revint finalement sur le sujet qui les intéressait tous les deux :
- Ce que nous souhaitons, c'est que ceux qui travaillent décident et que les retombées du commerce, de notre sueur, de notre sang, soient réparties également entre nous. Vous voyez... ce n'est pas si compliqué !
Et elle partit d'un rire cristallin qui faisait un peu de bien au milieu de cette tension.
- Vous avez l'air tout bête, Fëanor ? J'ai dit une sottise ?
Et elle repartit de ce même rire comme si elle s'était faite une bonne blague... ou comme si la mine de Fëanor était soudain devenue tordante.
- Mais si vous le voulez, nous reparlerons plus tard de la république autonome de Laälmath, reprit-elle encore en réfrénant un rire nerveux. Une urgence après l'autre. J'ai dit que nous pourrions vous aider si besoin et qu'on savait hiérarchiser les urgences par ici. Donc, ce serait plutôt à vous de me dire de quoi vous avez besoin... mais avant, je vois vous livrer une information... Je vois mal comment m'y soustraire.
Elle regarda un instant la flamme mais ne fit pas dure le suspense très longtemps :
- Je vous ai dit que nous faisions des rapines dans certains entrepôts de notre belle bourgeoisie pour trouver de quoi manger. Et je n'ai pas menti. Sauf que la dernière fois, nous ne sommes pas tombés sur des denrées... mais sur tout un tas de vieilleries emballées dans des caisses. On était trois... Et les deux autres ont disparu en même temps que moi. J'en ai déduit que c'était encore plus inquiétant que prévu.
Et d'un geste un peu théâtral, elle tira de sa manche une fine amulette reliée à un cordon de cuir complètement tanné. Le petit disque de métal sombre était striée de trous et de légers reliefs ondoyants.
Edition
17/05/2021
23h06 par
Nezami
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