Elindine d'Enumasam
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Quand tous ses compagnons eurent quitté la loge de Marlborough, Elindine se leva, salua leurs hôtes d’une brève révérence avant de les remercier pour leur invitation. Elle emboita finalement le pas à la petite troupe, jusqu’à leur chambre. Nedru voulait qu’ils fassent le point à l’abri des oreilles les plus indiscrètes et cela lui convenait fort bien.
A sa grande surprise, il fut le premier à exposer ses découvertes. Restée devant la porte close, la jeune femme s’approcha de la table où son époux avait déposé trois missives, le couvant de deux yeux reconnaissants. Elle lut chacune des lettres avec attention et curiosité, lançant parfois des regards amusés au sorcier. Les deux documents officiels n’éveillèrent pas grand-chose en elle, si ce n’est un certain agacement. Des formules administratives pompeuses pour l’une et dans l’autre, un enchevêtrement mielleux de mots condescendant pour remercier un homme qui, finalement, était mort dans sa mission. En était-elle la cause ? Difficile à dire, mais Elindine n’en détesta pas moins ce « votre ami » qui signait la missive et sonnait comme un fouet outrageant à son oreille. La plus intime des lettres, en revanche, était un peu plus croustillante. La rousse y reconnut les tournures que recevaient parfois Phina, de la part de ses clients les plus fidèles. Ce capitaine avait été un bien pathétique être humain, au moins semblait-il en avoir conscience.
Quand elle eut fini, elle retourna s’adosser à la porte, par habitude et par prudence : on ne savait jamais quelles oreilles pouvaient s’y coller, dans une auberge. Elle croisa les bras et quand Nedru fut de retour, elle exposa ses propres conclusions :
- Bien, si je résume les évènements qui nous amènent ici… Il y a 30 ans, Laalmatl était fondée ici, pour exploiter ses terres riches en minerais et bénéficier de sa baie abritée. Il y a 10 des ruines ont été découvertes et un commerce particulièrement lucratif s’est mis en place avec les riches propriétaires de Port-Franc et de la Cité Franche. Il y a un mois, les disparitions ont commencé, puis l’apparition des noyés. Le gouverneur, impuissant, a décidé de fermer la ville en attendant les renforts, en vain, puisque seules 8 personnes ont survécu à la rencontre avec le poisson-face-de-poulpe.
« L’un des acteurs de ce commerce d’antiquité est, apparemment, un certain Missak Kepesh, dont le fils, Nagash Kepesh, était avec nous sur le Lady Diana. Grâce aux documents récupérés par Nedru, nous savons que le capitaine devait apparemment l’amener sain et sauf ici et qu’il a été grassement payé pour cela.
« D’autres parts, ces fouilles ont dérangé des locaux qui, peu satisfaits des manières de leurs nouveaux voisins ont à cœur de le leur signaler, par les armes. La ville est donc prise en tenaille entre un danger venu du port et un venu de la jungle.
« Cette situation impacte probablement de façons assez distinctes les différents habitants de la ville. Les ouvriers et marins sont très certainement les plus en difficultés : ils ne peuvent plus accéder à leurs gagne-pains sans risquer leur vie. D’un autre côté, ce sont aussi eux qui se sont retrouvés au plus près de chaque menace, avec les aventuriers. Ils sauront peut-être mieux nous renseigner que les notables et leurs gardes, qui, de leur côté, ont les moyens de nous ouvrir les portes qui mènent au gouverneur ou, au contraire, de nous empêcher de le rencontrer.
« A ce propos, je me suis rappelée quelque chose durant notre discussion avec Thomas de Marlborough, fils du comte de Malstaff de la Cité Franche, dit-elle d’un air pompeux.
« Sa famille était en vue dans la capitale, il y a une vingtaine d’années, mais apparemment leurs… Méthodes commerciales, leurs audaces et leurs ambitions en la matière leur ont couté leur réputation, les forçant hors de la ville. J’imagine que c’est ici qu’ils ont exporté leurs désirs de richesses et probablement leurs façons de faire, ainsi qu’une petite rancune envers ceux qui les ont chassés de la Cité Franche, j’imagine.
En arrêtant-là son long exposé, Elindine souriait, visiblement amusée par la situation et intérieurement fébrile, impatiente d’entendre les informations que pourraient partager les autres.
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