Cymbeline Courtmanteau
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Un peu vexée par l’attitude – froide et distante – de Gerald après son intervention auprès du Bosco, Cymbeline était bien contente de s’éloigner du hangar pendant un moment. Elle ne regrettait pas d’avoir soigné le maître d’équipage (qu’elle appréciait personnellement), mais elle avait au moins espéré un « merci » de la part du jeune homme. Ou en tout cas, plus qu’un pauvre sourire, et puis plus rien ! Comme si elle n’existait plus. L’attention du matelot s’était à nouveau focalisée sur R. Sands, le regard plein d’admiration, de respect et d’inquiétude.
Ingrat… C’est avec lui que tu aurais dû partager ta couche, avait envie de lui jeter la musicienne.
Elle se retint, néanmoins, et partit se rendre utile ailleurs plutôt que de s’énerver.
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À la sortie du hangar, la halfeline essaya de retrouver la sensation qu’elle avait eu d’être observée. Elle prit finalement à droite en direction des remparts de la ville, et ne croisa personne en particulier pendant un moment, si ce n’est une multitude de goélands faisant leur vie tranquillement.
Elle finit par percevoir à nouveau ces étranges regards posés sur elle. S’agissait-il d'un individu, d'une créature, d'un groupe ? Elle n’aurait su le dire. En tout cas, ce n'est pas la bête sous-marine. Rien à voir. Ni même les goélands.
Tout en évoluant le plus discrètement possible, Cymbeline longea les hangars, mais ne vit toujours personne -- ce qui était paradoxal parce qu’elle était certaine de ne pas être seule dans les environs. Lorsqu’elle parvint aux pieds des remparts, elle se sentit plus en sécurité, comme s’ils la protégeaient malgré sa sensation toujours vive d'être épiée en permanence.
La tour carrée se révéla être une porte de la ville, assez haute et massive. Il n'y a pas de grille baissée, mais une lourde porte cochère, fermée. Une petite porte (permettant le passage d'un individu seul) se démarquait de la structure de bois. Impossible de dire si elle était verrouillée ou non.
Cymbeline remarqua aussi des traces de pas dans la boue : certaines traversaient la petite porte de bois, d'autres partaient sur sa droite en longeant les remparts.
En levant la tête, elle aperçut une silhouette humanoïde penchée au-dessus des remparts. Celle-ci disparut en l'espace d'une seconde, mais la musicienne était certaine d’avoir été observée.
Sans être membre de la soldatesque, Cymbeline avait tôt fait de comprendre que dans ce genre de situation, c'est au bord du mur qu'on est le mieux protégé… du mur ! Elle s’aplatit donc contre la porte de bois, abritée par l'encadrement. Puis elle se mit à crier vers les airs (dans toutes les langues qu’elle connaissait) :
- Hey ! Qui êtes-vous ? Montrez-vous ! Ne craignez rien, je... je viens en paix !! Je suis barde itinérante ! Et je cherche de l'aide... Mes compagnons sont blessés !
Rien.
Elle tenta alors une autre approche : lancer un sort d'illusion mineure représentant une Elindine blessée et souffrante, pour tenter de leur faire passer le message en image. C’est alors qu’elle entendit de l'agitation en haut. Elle allait se risquer à sortir la tête quand des cris (d'une voix assez frêle) lui parvinrent :
- Arrête de nous tourmenter, Monstre !
S'ensuivit un jet de pierres plus ou moins grosses, d'abord au travers de l'image, puis à proximité du refuge de la halfeline. Cymbeline fit alors un rapprochement : Si les habitants du lieu avaient aussi subi les assauts psychiques de la bête, son idée avait dû semer la confusion dans l'esprit de ces pauvres gens !
Au bout de quelques instants, le jet de pierre se tarit, mais elle ne pouvait pas savoir ce qu'il adviendrait si elle quittait son refuge... Le ou les guetteurs étaient-ils partis ? Avaient-ils donné l'alarme ? Ou l'attendaient-ils ? Aux premiers jets de pierre, elle avait compris avoir fait une erreur... Néanmoins, ces gens venaient de lui parler, et en un langage qu'elle comprenait !
Sans sortir de sa cachette, elle réfléchit à toute vitesse, puis décida de tenter autre chose : elle détacha son Dulcimer de son dos, et fit sonner quelques notes afin de trouver le ton.
Puis, sur un air qu'elle connaissait bien, elle se mit à improviser des paroles, qu'elle clama d'une voix forte pour se faire entendre jusqu'en haut des remparts :
- J'm'appelle Cymbeline, et j'suis ménestreeeelle,
J'ai pris la mer depuis Port-Franc avec mes compagnoooons,
Quand un monstre marin nous a cherché quereeeelle,
Et englouti une grande partie des moussailloooons...
Seuls rescapés, blessés, dans un port déseeeert,
Nous cherchons de l'aide et voulons compreeeendre
Ce qu'il est arrivé à ces teeeerres,
Et comment pouvoir se défeeeendre...
Contre cette bête des enfeeeers,
Que j'adorerais, si je le pouvais, pourfeeeendre...»
Elle cessa ensuite de jouer, guettant une réaction d'en haut. Hélas, les sons n'étaient pas sortis aussi bien qu'elle l'escomptait. Le stress de la situation ne lui avait pas réussi. Ses doigts ripaient un peu sur les cordes et sa voix dévissait parfois légèrement.
Cymbeline attendit, sans savoir ce qui allait se passer. Une, peut-être deux minutes. Et puis :
- Hé ! La chanteuse du dimanche ! Fit une voix plus rocailleuse que la précédente, toujours en Cyfand. Ok t'es pas une illusion de la bête des tréfonds. Elle aurait jamais fait autant de fausses notes !
- Qu'est-ce tu fous sur les quai ? Reprit la voix frêle entendue la première fois. T'y sais pas que c'est dangereux de rester dans les parages ? Allez ...File de là....
Malgré sa piètre performance, un sourire étira les lèvres de Cymbeline (touchant presque ses oreilles en pointe) lorsqu'on lui répondit enfin. Elle osa sortir de sa cachette, et s'adressa de nouveau aux hommes-invisibles, les mains en porte-voix pour augmenter la portée de ses paroles :
- On vient juste de s'échouer ! On cherche un abri ! Est-ce qu'on peut entrer ? Je vous en prie... Nous laissez pas dehors ! On saura se rendre utiles...
Les propos de la jeune fille semblèrent déclencher des discussions animées dont elle ne comprit pas grand chose. Finalement, l'homme à la voix forte reprit :
- On n'a pas assez à manger pour nous dans ce trou alors dégage. Si t'as pas déguerpi dans une minute, on te jette des pierres jusqu'à t'écraser le crâne, c'est compris ?
Mais alors que la petite écoutait ces propos propres à lui glacer le sang, son regard se porta sur le mur du hangar de plus proche. Dans l'ombre, une petite forme gracile se tenait, collée au mur, profitant des contre-jours. Ses vêtements étaient dépenaillés, ses cheveux gras, son visage barbouillé de crasse mais ses yeux brillaient d'un regard presque inquiétant. Elle ne parlait pas, ne bougeait pas. Mais elle avait son doigt levé devant sa bouche dans un signe bien reconnaissable.
Surprise, Cymbeline remarqua bientôt un petit être caché dans les ombres. Le pauvre devait errer dans les rues depuis un moment... Curieuse, elle hésita un instant sur la conduite à suivre : s'en rapprocher ? Ou juste l'ignorer pour le moment, comme il semblait le lui suggérer ?
Elle opta pour la deuxième option, et répondit aux hommes des remparts :
- Et si je vous apportait à manger ? Y'a plein de poissons ici ! Plein de cargaisons ! Et je peux même chasser... Des brochettes de goéland, ça vous dirait ? S'il vous plait, je suis venue parler au gouverneur Holderlin... C'est très important ! ajouta-t-elle, soudain inspirée.
Elle s'était à nouveau placée le long du mur pour éviter les jets de pierre.
En écoutant les propos de Cymbeline, les gars au sommet des remparts éclatèrent de rire :
- Ah ha ! Hey, tu sais qu'on habite ici, nous ? On est un peu au courant de ce qui traine dans ces hangars. Et c'est pas un hasard si on s'aventure plus sur le port. File de là en vitesse t'entends... c'est pas pour nous qu'on dit ça. Tu risques d'y passer. C'est trop dangereux.
- Hey, t'as entendu ? Elle veut voir Môssieur Holderlin... T'aurais plutôt intérêt à rester à distance de lui et de ses ouailles, ma biche.
Elle entendit encore quelques échanges à voix basse... Puis plus rien. Ni voix ni mouvements. On aurait dit que les gars avaient quitté leur poste d'observation... étrange pour des sentinelles... A moins que ce n'en fût pas.
De son côté, fondue dans la pénombre, la petite créature la regardait toujours de ce regard un peu inquiétant. Au bout d'un instant, elle recula et sembla se retirer plus encore dans les profondeur sombres de la ruelle d'où elle avait émergé.
- Moi j'veux bien filer, mais pour aller où, gros malins ?? jeta Cymbeline aux hommes d’en haut.
Elle soupira, comprenant enfin qu'elle n'arriverait à rien avec eux... Pas toute seule, en tout cas. Et pas comme ça. Elle nota quand même leur dernière information concernant Holderlin. N'était-il pas censé gouverner et donc protégé cet endroit ?
La peur lui noua soudain la gorge. Elle se demandait maintenant si la créature ne possédait pas le moyen de manipuler, voire de corrompre les gens comme sur le Lady Diana, mais de façon beaucoup plus durable ? D'en faire des marionnettes à son service, comme les marins qui les avaient soudain attaqué ? Peut-être que le Gouverneur et ses "ouailles" avaient succombé... Peut-être même étaient-ils au service du monstre... Peut-être même traînaient-ils tous sur les quais ou aux alentours... !
Pourvu que ces blessures étranges, qui ne s'apaisent qu'à l'eau de mer, ne soient pas des signes avant-coureur... se dit-elle. Méfie-toi, Cy. Tes nouveaux amis, peut-être sont-ils dangereux aussi...
Et cette créature, tapie dans l'ombre... De quel bord était-elle ? Si elle se trouvait de ce côté-ci du mur, c'était sans doute très mauvais signe. Et en même temps, Cymbeline se dit que sa survie dépendait aussi des informations qu'elle arriverait à récolter.
Sa décision était prise.
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Elle se faufila en direction de la ruelle, mais ne prit pas le risque d'y pénétrer seule. Elle observa d'abord, s'assurant qu'il ne s'agissait pas d'un guet-apens (et que d'autres créatures comme elles n'allaient pas surgir des ombres pour se jeter sur elle...).
La petite fille était toujours là, tapie dans la ruelle. A ses pieds, Cymbeline remarqua une besace assez grosse remplie d'objets divers. La petite fille fit un pas dans sa direction, regarda autour d'elle et chuchota :
- Attention, nous ne sommes pas seules.
Cymbeline, méfiante, refusa de la suivre dans la ruelle.
- Je ne rentrerai pas là-dedans, lui dit-elle. Je ne sais même pas qui tu es... Ni ce que tu trimbales avec toi.
(à suivre... J'ai pas le courage de faire + ce soir >< )
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