À l'ombre des oliviers

Un silence bref et des vivats saluèrent sa prestation, teintant de rouge ses joues et jusqu’aux bouts de ses oreilles. Son sourire s’élargit encore et elle se fendit d’une ample et gracieuse révérence. Elle ne s’était pas couverte de ridicule, c’était l’essentiel et les félicitations de Podness, Sallavïn et même Mercoeur, lui firent chaud au cœur. L’alégresse transmise par sa démonstration avait cependant été de courte durée, les candidats avaient été rapidement rappelés à leurs angoisses alors qu’une autre barde était appelée à passer devant la duchesse. Était-ce bien cette dernière qui allait les recevoir ? Depuis qu’ils étaient ici, personne ne leur avait expliqué exactement ce qui était attendu d’eux et Mercoeur avait mentionné des « rivaux de demain ». Elle n’était pas sûre de faire confiance au barde, mais poser plus de question ne ferait pas de mal. Se retournant vers lui et Lillya elle demanda :

- Savez-vous exactement ce qui est attendu de nous pour ces… Hm… Entretiens ? J’ai cru comprendre que les candidats seraient mis en compétition, mais j’avoue que, jusqu’ici, je n’ai pas la moindre idée de ce qui nous attend.

Elle regarda brièvement autour d’elle : Podness s’était excusé avant de s’éloigner et Sallavïn avait fait de même, mais en silence. Chanter et danser lui avait fait un bien fou, éloigné ses doutes et ses craintes. Mais à présent elle ressentait une forme d’excitation nerveuse, comme une impulsion un peu sauvage, une sensation un peu trop familière à son gout. Elle prit une grande inspiration, chassant le feu de pensées agitées d’un long souffle.

Podness se trouva rapidement limité dans son exploration. Il n’avait accès qu’au péristyle (cour intérieure délimitée par des colonnes) et à la salle de réception accolée à cette cour. Des gardes surveillaient les autres entrées afin de décourager les curieux – et sans doute pour protéger la maisonnée contre cet attroupement d’étrangers, dont on ne connaissait pas grand-chose.
De passage-secrets, il n’en vit aucun. En revanche, il distingua quelques trompe l’œil intéressants : dans le prolongement de certaines portes (côté intérieur), sous couvert de fresques ou mosaïques, il remarqua quelques barres ou panneaux coulissants se fondant presque parfaitement dans le décor. Sans être un professionnel en matière de défense militaire, Podness put facilement imaginer le côté pratique de ces éléments en cas d’intrusion ou de siège.
Il ne vit rien de spécial du côté des statues ou même des tableaux. Par contre, il s’aperçut que la fenêtre de la salle de réception… n’en était pas une. Il s’agissait d’un décor peint. Il s’était sans doute laissé berner par les traces de lumière au sol provenant non pas de la fenêtre, mais bien des couleurs et motifs des carreaux. Si l’illusion était bluffante, elle l’était de moins en moins à mesure que le jour déclinait : une pièce où il faisait toujours soleil avait de quoi surprendre. D’ailleurs, une domestique était justement en train de faire le tour de la pièce pour allumer quelques lanternes – et tirer un rideau par-dessus la fausse fenêtre. Amusée par la curiosité de Podness, elle lui adressa un clin d’œil avant de poursuivre son travail.

Bientôt, l'employée chargée d’appeler les candidats fit de nouveau apparition, et clama d’une voix forte le nom du suivant sur sa liste :

- Boréas Dùnedor !

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Quant à Cymbeline Courtmanteau, la candidate précédente, elle ne semblait pas dans son assiette. Un mélange de déception et de frustration crispait ses traits alors qu’elle s’avançait vers la sortie, sans un regard pour les autres participants. La halfeline fut bientôt interceptée par Sallavïn, vers qui elle leva sa frimousse d’animal blessé.

- Méfiez-vous, lui dit-elle (en Cyfand) en réponse à sa question. Ils sont implacables… Surtout elle, la duchesse. J’espère que vous n’avez aucune famille ou aucun proche originaire de Cyrillane, sinon vous pourriez autant partir de suite… Je n’aurais jamais dû lui parler cyrillan. Ni mentionner que mon mentor était un gnome de Cyrillane. Quelle bêtise. Ah, et méfiez-vous des candidats aussi ! Certains font circuler des rumeurs pas très agréables, afin d’éliminer quelques rivaux… J’en ai fait les frais aussi.

Elle haussa les épaules, prétendant qu’elle se moquait de tout ça, même si son expression faciale indiquait clairement le contraire.

- Bonne chance, mon cher. Demain, ce sera côté spectateurs que je vous applaudirai, ajouta-t-elle avec un sourire mi amer mi encourageant.

Elle s’inclina légèrement, puis disparut pour de bon.
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Kayla, elle, choisit de se tourner vers Lillya pour glaner quelques informations. La gnomette leva des yeux désolés sur sa consœur, et secoua la tête :

- Je crains de ne pouvoir vous aider beaucoup… Je n’en sais pas plus que vous. Je pense qu’une première sélection a lieu ce soir… Et que demain, les candidats ayant franchi cette étape entreront en compétition en fonction des matières qu’ils enseignent. Avec tous ces invités installés dans les jardins, je pense que ce sera assez spectaculaire… Mais je suppose qu’on nous expliquera tout ça d’ici demain. Excusez-moi, je… je pense que j’ai besoin d’être un peu seule. J’aimerais me préparer un peu avant l’entretien.

- Je vais faire comme vous, je crois, réagit Mercœur, détachant son instrument de son dos et sortant quelques partitions de sa besace.

Tous deux allèrent s’installer ailleurs, visiblement aussi nerveux l’un que l’autre.

La halfeline qu'il avait réussi à interpeller avait l'air dévastée en se confiant à lui et Sallavïn sentit son cœur se serrer brièvement en imaginant sa peine. Il lui posa une main sur l'épaule et la serra doucement avant de la laisser repartir, s'inclinant à son tour. Le melësse n'avait même pas eu le temps de trouver un bon mot. J'espère qu'elle trouvera un autre endroit où faire ce qu'elle aime.

Il la regarda quitter la pièce, puis retourna mentalement les propos qu'elle venait de tenir, tout en faisant rouler ses épaules encore courbaturées par son sac à dos. A sa connaissance, personne de sa famille ne venait de ce pays, ce qui était manifestement un bon point pour lui. Et dans un sens, il se sentait heureux de ne pas comprendre un traître mot de cyrillan.

Les calomnies en revanche ne s'effacent pas facilement...

Son regard retourna sur la cour. Remarquant que tout le monde s'était dispersé, il hésita un moment, campé solidement dans le sol. Devait-il les laisser tranquille ? Les yeux de chat mouillé de la halfeline lui revinrent en mémoire et il décida d'épargner cette peine à d'autres s'il le pouvait, se dirigeant vers Kayla.

-Rebonjour. Une candidate m'a parlé et il semble mal vu de parler cyrillan, ou d'y avoir de la famille. Je crois que vous devriez faire attention.

Un air songeur passa sur les traits de la jeune femme.

- Je vois, merci, répondit-elle à ses interlocuteurs. Bonne chance à vous.

Kayla laissa s’éloigner Mercoeur et Lillya. Ils n’en savaient donc pas davantage et il lui semblait que plus le temps passait, plus l’atmosphère de la cour s’alourdissait. Paradoxalement l’approche imminente de son propre passage devant la duchesse la faisait relativiser. La demi-sang songeait que plus elle passerait de temps ici et moins elle aurait à se poser la question de comment dormir et manger. Si elle était recalée, elle n’aurait qu’à reprendre sa quête librement et si elle était choisie, alors elle aurait un travail fascinant qui lui laisserait peut-être le temps de faire ses recherches. L’un dans l’autre, elle ne doutait pas de s’en sortir et les lettres de prestige d’un tel poste la laissait plutôt indifférente : elle n’était pas là pour ça.

Elle aperçut du coin de l’œil Sallavïn qui revenait vers elle. La melessë accueillit le retour de son confrère avec un sourire et l’écouta avec attention. Ses mots imprimèrent sur ses traits un air soucieux, avant qu’elles n’y répondent :

- Merci beaucoup, c’est très généreux de votre part de partager cette information avec moi. Pour le cyrillan, je crois que c’est trop tard pour cacher que je le parle. En revanche, je n’ai strictement aucun lien avec la région, du moins à ma connaissance. Mon père, que j’ai peu connu, était un érudit lothrien, il parlait et lisait beaucoup de langages différents et c’est lui qui a commencé à m’apprendre le cyrillan, puis j’ai continué avec ma mère et mon grand-père. En tant qu’elfe, je doute que l’un ou l’autre ne se soient mêlés des histoires humaines de Cyrillane, aussi tragique fussent-elles.

Un soupir triste franchit ses lèvres à l’évocation de sa famille et des cours qu’elle avait reçu de leur part à tous. Ils lui manquaient tellement. Elle releva vers le jeune homme un regard calme, bien que mélancolique, et le gracia d’un sourire serein.

- Je ferai attention, merci encore, Sallavïn. J’ai grande hâte de voir ce que vous savez faire, demain.

Pod devait se rendre à l'évidence, il ne pourrait pas visiter la résidence à sa convenance. Il se limita donc à observer ce qu'il pouvait, mais ne fut pas déçu. Il y avait dans cette pièce des choses intéressantes, à défaut de passage secret. Il les étudia d'un oeil critique, mémorisant les techniques utilisées par les concepteurs des lieux, afin de trouver plus facilement les secrets qui ne manquaient pas de peupler le reste de la maisonnée.

Il revint donc assez vite auprès des autres, découvrant que Mercoeur et Lillya s'étaient écartés pour mieux se concentrer. Sallavïn et Kayla discutaient et il entendit les derniers mots de leurs échanges, à propos de la langue locale.
Heureux de pouvoir utiliser l'elfique, qu'il affectionnait tant, mais avait peu l'occasion de pratiquer, il leur répondit :

- Merci Sallavïn pour ces informations. Je ne parle pas le Cyrillan pour ma part. Et je n'ai aucune connaissance ou intérêt dans ces contrées ! Ajouta-t-il avec un grand sourire.

Mais son visage changea rapidement d'aspect lorsqu'il reprit la parole.

- Bien... Notre tour ne devrait pas tarder... finit-il par dire avec un soupir qui laissait paraître que l'angoisse générale le gagnait peu à peu.

A l’annonce de son nom, Boréas se redressa doucement et étira ses muscles ankylosés. Il avait passé l’après-midi au calme et silencieux, assit si près d’un énorme spécimen de palmier en pot que personne ne lui avait prêté attention. À l’ombre moirée des palmes vert sombre, il avait tendu une oreille bienveillante quoi qu’attentive aux élucubrations de la foule. Il y avait là, ma foi, des prétendants de tous âges et horizons. Immobile, impassible, indiscernable, il avait jaugé ses semblables. Si certains montraient déjà des signes avant-coureurs de défaite, Boréas avait néanmoins repéré plusieurs candidats susceptibles de finir dans le peloton de lauréats. Qu’en sera-t-il de moi?

Boréas était arrivé deux jours plus tôt par bateau, avec un cheptel de dix de ses meilleurs chevaux. La commande émanait de l’intendant de la duchesse, cherchant « une monture noble et fiable, destinée à l’apprentissage du dressage et de l’art de l’équitation au fils du domaine » ainsi que plusieurs autres destriers à usage « indéterminé ». Lorsque sa nièce, en charge du commerce familial lui avait apporté le bordereau de commande un mois plus tôt, Boréas avait d’abord refusé net. La livraison ne faisait pas partie de son mode opératoire. Quel que soit le commanditaire, il exigeait que le futur cavalier en personne se présente à son domaine afin de tester et trouver le destrier le plus adapté. Ces chevaux d’élite se vendaient donc au compte-goutte. Bref, une commande, de plusieurs bêtes qui-plus-est, c’était hors de question.
Cependant, c’était sans compter les talents persuasifs de Vallia, véritable requin de démagogie, digne arrière-petite fille de commerçant de Smotegorod. Cette commande était, arguait-elle entre les lignes d’un plaidoyer galvanisant, un moyen formidable de développer la clientèle et de se faire connaître au-delà des frontières d’Arolavie. Certes.

Laissant sa cabane de montagne et ses écuries en alpages à la charge de ses deux apprentis, il avait décidé d’amener lui-même les chevaux à destination et de jauger si oui ou non, il acceptait le contrat. Le voyage n’avait pas été de tout repos. Car si les équidés ne peuvent vomir, cela n’avait pas été son cas. Et le capitaine qui prétendait que la météo avait pourtant été particulièrement clémente. Foutaises. Il avait dû refaire le plein d’herbes chez l’apothicaire à l’arrivée au port, tellement il avait puisé dans ses réserves. Les chevaux en revanche, avaient débarqués le pied alerte, l’œil curieux et les réserves d’énergie à bloc. Il était fier mais épuisé.

À l’arrivée au domaine, le regard interloqué de l’intendant avait aggravé son humeur : « Des destriers ça? Mais où sont les chevaux de tournois que l’on vous a commandé ? Je vous signale que le fils de Madame est déjà assez grand pour monter à cheval, nous n’avons pas besoin de poneys! Et jaunes en plus ! Mais que vais-je dire à Madame? Quelle misère, nous allons être la risée de la région, pire, du pays, que dis-je : du continent! ... Bien, je suppose que vu les délais et par égard pour le chemin parcouru, nous n’avons pas le choix. C’est d’un ridicule... » Boréas avait souri le plus aimablement possible malgré les palpitations de mâchoire crispée . « Nous ne vous décevrons pas. » Vallia allait entendre parler de lui.

Dans les écuries, l’accueil fut tout aussi déplaisant. Cependant il comprit enfin pourquoi ses chevaux provoquaient les regard surpris des palefreniers. Les stalles impeccables laissaient entrevoir des robes lustrées, des têtes fuselées et des crinières fournies. Des bêtes magnifiques. En revanche il s'agissait de créatures d’enluminures peu aptes à survivre une charge de tournois, un cavalier nain ou même simplement une nuit à la belle étoile. La pneumonie assurée. Les chevaux de Boréas, plus trapus, le pied sûr, le poil dru couleur de miel, la crinière blanche et noire en panache, le regard intelligent, semblaient en comparaison venir d’un autre plan. Pourtant Boréas n’avait aucun doute : ses bêtes étaient les meilleures.

Après avoir passé deux nuits calmes et recouvré la pleine capacité de son estomac, Boréas fut de bien meilleure humeur. Tellement qu’il décida de se porter candidat pour un poste d’instructeur. Après tout, qui mieux que lui pouvait démontrer le potentiel de ses protégés, et s’assurer de leur bien-être si loin de leur terre natale? Peut-être pourrait-il aussi en profiter pour découvrir de nouvelles techniques de soin aux animaux, ou de nouvelles plantes médicinales.

Espérant que la famille ducale soit sensible à son expérience, cependant paisible et souriant, il s’engagea à la suite de la servante vers la salle d’entretien.

En sortant de leur entretien avec la Duchesse, chacun des candidats fut cueilli dans le vestibule par un domestique qui le conduisit aux jardins.
S’il faisait encore jour lorsque Boréas sortit, la nuit était tombée depuis longtemps lorsque Kayla émergea à son tour de la villa. Quelques lampions colorés, disséminés ici et là, chassaient l’obscurité autour de grandes tables dressées pour le dîner (certaines côté invités, d’autres côté concourants). Le vin avait remplacé le jus de raisin et l’ambiance battait son plein. Quelques compétiteurs se succédaient sur une petite scène de bois (montée entre la section des invités et celle des candidats), grattant ou soufflant d’un instrument, dansant, proclamant des contes, ou jouant de leurs cordes vocales, donnant ainsi un avant-goût de leurs représentations du lendemain.

Les candidats sortant tout juste de leurs entretiens furent d’abord conduits jusqu’au chapiteau où leurs affaires étaient rangées.
Suffisamment grandes pour abriter une demi-douzaine de personnes, ces tentes bariolées étaient réservées aux compétiteurs ayant passé les premières sélections -- ceux qui avaient échoué avaient vu leurs affaires déplacées vers une autre section des jardins, réservée aux invités.
Ces logements de fortune étaient séparés en deux catégories : deux pour les hommes, deux pour les femmes. Un garde se tenait devant chacun, s’assurant que personne ne viendrait subtiliser les bagages des voyageurs.
À l’intérieur, des tapis recouvraient le sol et quelques matelas (sortes de sacs de lins fourrés de plumes) étaient étalés par-dessus, à quelques distances les uns des autres. Les affaires de chaque candidat étaient déposées sur ou proches du lit qui leur était assigné. Une lanterne était déposée au milieu.
Enfin, chaque chapiteau disposait d’une ailette séparée d’un voile, dans laquelle on trouvait des baquets d’eau pour faire sa toilette. On indiqua également aux participants quelques cabanes tenant lieu de toilettes sèches, plus loin dans le parc.

- Vous êtes libres de faire votre toilette avant ou après dîner, précisa (en cyfand) le domestique chargé de les accompagner. Mais il est fortement encouragé de le faire avant dormir afin de… euh… ne pas importuner vos voisins. Vous êtes également priés de laisser vos armes à l’intérieur. Tout abus annulera aussitôt votre participation.
« Quand vous serez prêts, vous pourrez rejoindre le banquet. Ces deux tables sont réservées aux candidats, et vous êtes invités à vous servir vous-mêmes. Il y a quelques chaises, mais sans doute pas assez… Vous pouvez vous installer où bon vous semble, mais pas dans les chapiteaux afin de les garder propres.
« Quand tous les candidats seront présents -- et apprêtés --, l’intendant viendra vous expliquer le déroulement des compétitions du lendemain.
« Ah ! Et vous êtes libres d’utiliser la scène, si vous souhaitez donner une représentation – peu importe sa nature, tant que vous n’y amenez pas vos armes.
« Merci, et profitez bien de la soirée !

Sur les tables, viandes rôties, légumes en sauce, fruits secs et gâteaux de miel attendaient les participants, ainsi que quelques-unes des meilleures bouteilles de vin du domaine. Des assiettes, couverts et verres propres étaient déposés au milieu, laissés à disposition.

Boréas sortit de la salle d’entretient du même pas souple qu’il y était entré, et suivi sans un mot le domestique jusqu’aux tentes qui leur était réservée. Les tables du buffet étaient gargantuesques. Il ne prêta peu attention au contenu, sachant pertinemment que si les plats à base de viande seraient les premiers a être dévorés, il resterait bien assez de légumes et de fruits jusqu’au matin. Cependant il y préleva deux pommes avant de se rendre aux écuries.

- Laissez-moi passer. Mes chevaux ne peuvent pas rester enfermés.

Il ne trouva ses destriers nulle part. Contrit, il hella un palefrenier séant et s’enquit du bien-être de sa horde.

- Vos chevaux sont incontrôlables. On n’a pas pu les sortir du pré. Et les deux palefreniers qui étaient en charge ont des contusions affreuses car ils ont étés attaqués! Mordus, bousculés et piétinés ! Vous vous rendez-compte ? Vous bêtes sont des dangers publics! Ils passeront la nuit au pré et sans avoine, ça leur fera les pieds.

À ces mots, Boréas sourit. C'est exactement ce qui leur faut.

- Et ne venez pas vous plaindre s’ils attrapent une pneumonie, personne ici ne veut plus s’en occuper. On va rire au début des joutes, quand madame va se rendre compte des carnes qu’elle a acheté. Maintenant, du balai ! Il y a de vrais chevaux qui ont besoin de soins ici.

Rassuré, Boréas en souriant laissa les pommes à un garçon d’écurie déconcerté et rejoint les festivités.

Il se saisit d’une bonne tranche de pain sur laquelle il versa une louche généreuse de légumes bouillis. Sa quête de fromage comme celle de bière, fut infructueuse, et il se rabattit en ronchonnant sur un vin blanc sec dans lequel macérait des fruits colorés.
Il sera encore temps de trinquer une fois les autres candidats arrivés.
Assis sur une balustrade en pierre dominant les jardins, il se replongea dans la contemplation des candidats en savourant son assiette. Ci-et-là à l’éclairage des torches et lumignons dans la pénombre du soir, se déroulait à petite échelle, le spectre entier des relations humaines. Un homme en armure roulait des muscles en discutant avec un nain visiblement peu impressionné mais poli. Il décelait la pointe d’ennui de ce dernier malgré de raffinées lunettes rondes à monture d’argent, tandis que ses doigts poupins tapotaient machinalement une lourde besace en cuir a son côté.
Ce chevalier s’est trompé d’interlocuteur.
Cette même besace attirait le regard intelligent quoiqu’appréhensif d’un jeune érudit roux qui ne tenait pas en place, et dont le rire clair résonnait dans le soir. Les artistes se succédaient sur l'estrade, libérant avec plus ou moins de virtuosité, le stress accumulé par les voyages et la journée. En bien comme en mal semblait-il, car plusieurs participants arboraient tour à tour la mine ravie ou contrite de la concurrence. Il suffisait à Boréas de suivre les regards empreints de rivalité, d’admiration ou de crainte et sautant ainsi d’une prunelle ou d’un geste à l’autre, il tissa peu à peu une toile relationnelle complexe, à l’image de l’humanité. Fascinant.

Une fois à l’extérieur, le blondinet chercha des yeux ceux qu'il connaissait pour leur faire un signe de tête encourageant, avant de suivre le serviteur jusqu'au chapiteau des sélectionnés. Il embrassa les lieux du regard, cherchant à évaluer le nombre d'étrangers ayant survécu à l'examen de la duchesse, comptant le nombre de sacs présents sur les couchettes. Plus que ce que je pensais...
Puis, conformément à l'interdiction du port des armes, Sallavïn décrocha son fourreau pour laisser son épée à plat sur son lit, sagement alignée contre ses javelines de bois blanc. Puis, il posa son écu par dessus avant de recouvrir le tout de son épais manteau de route.

Privé de ce poids familier sur son flanc et les épaules, il se sentait déjà presque nu, mais il imaginait mal conserver son armure au dîner. Il se débarrassa donc de son surcot puis de sa cotte de maille, avant d'ôter la fine chemise qu'il portait dessous, profitant de ce que la vaste tente était vide pour rester un moment torse nu et enfin se rafraîchir.

Je crois que je sens mauvais... Pensa-t-il en étalant sa chemise moite. Puisque l'odeur de l'acier et de sueur lui collait à la peau, il décida de se diriger vers les baquets qu'on lui avait désigné pour faire une toilette aussi courte qu'efficace, se frottant à s'en rougir la peau. Sa mère avait toujours mis un point d'honneur à ce que qu'ils restent propre en toutes circonstances. "Nous avons l'oeil des dieux et nous nous devons d'être un symbole pour ceux dans le besoin. Même la statue d'un héros n'inspire plus le respect quand elle est couverte de fange" disait souvent sa mère en lui frottant la couenne.

Lorsqu'il sortit du chapiteau, saluant les gardes au passage, il se sentait dans la peau d'un autre, léger comme une plume et plus souple. Il fit rouler ses épaules pour le plaisir de délasser ses muscles, s'étirant sur tout le trajet, dos, jambes et nuque.

C'est devant les tables couvertes de victuailles qu'il acheva de relâcher la pression. Ces odeurs étaient la goutte de trop ! Son ventre émit un gargouillis puissant, sonore, et Sallavïn accéléra le pas pour remplir une auge de volaille et de légumes. S'il semblait soudain prendre son temps en se servant, c'était bien plus à cause des calculs savants qu'il faisait pour pouvoir placer un maximum de nourriture dans son assiette sans avoir l'air totalement grossier que par une retenue polie. Décidant qu'il pouvait se permettre de faire dépasser légèrement son butin des bords, il picora immédiatement dedans en louvoyant entre les candidats, se gardant de se faire bousculer. Il s'installa finalement contre un pilier et observa les orateurs sur la scène, un sourire bienheureux aux lèvres.

Une fois dans sa tente, Kayla n’hésita pas une seule seconde à faire une longue toilette soigneuse. Elle était la dernière à être passée devant la duchesse et elle ne gênerait personne en prenant ainsi son temps. Le trajet, l’attente, puis l’entretien, tout ceci avait mené la jeune femme à se languir du contact de l’eau fraiche sur son corps éreinté. Ce ne fut qu’une fois séchée, coiffée et rhabillée de vêtements propres et légers, qu’elle se rendit enfin compte qu’elle avait vraiment très faim. Enfin légère du poids de la journée, de ses vêtements de voyage et de la saleté sur sa peau, elle bondit hors de la tente, sa lyre attachée dans son dos, pour s’approcher en trottinant du buffet fastueux qui l’attendait.

Elle fut surprise, dans un premier temps, par le monde, elle ne pensait pas qu’ils seraient encore si nombreux, puis par la quantité de nourriture encore présente. Il y avait des viandes, en sauce, en ragout, rôties et parfumées, des légumes frais, bouillis, sautés, grillés, en salade, nature et des boissons… Qu’en dire ? Leurs parfums enivraient déjà ses sens à quelques mètres de la table. Elle déglutit, s’empara d’une assiette et piocha un peu dans chaque plat. Tant que sa curiosité pouvait tenir dans la porcelaine, elle s’autorisait à en rajouter un peu plus. Elle ne savait pas si elle arriverait à tout finir, mais elle voulait tout gouter.

S’extirpant du banquet, elle trottina dans la pelouse grasse du jardin, en quête d’un visage familier. Elle savait, pour les avoir vu tous en sortir avec le sourire, que ses comparses avaient, eux aussi, passé l’examen de dame Irène. La gageure était désormais de tous les retrouver dans cette modeste foule éparpillée. Une tâche rendue d’autant moins aisée que Kayla n’était pas bien grande et qu’aucune des personnes qu’elle cherchait ne l’étaient beaucoup plus qu’elle, à part Mercoeur, qui n’était pas celui qu’elle avait le plus envie de retrouver. Elle fureta, attentive, cherchant la tignasse sombre de Podness, l’air sérieux de Lillya ou les yeux clairs de Sallavïn, quelque part, parmi tous ces visages inconnus. Elle était si curieuse et impatiente d’entendre ce qu’ils avaient vécu de leur côté, si enthousiaste à l’idée de partager cette soirée avec des personnes qui avaient l’air bienveillantes. Et puis elle devait remercier encore Sallavïn pour son conseil, elle avait pu se préparer au problème du cyrillan en amont, grâce à sa générosité.

A cet instant, elle cru apercevoir la blondeur du demi-sang. Dans la pénombre du soir, sans son armure et ses vêtements de voyage, caché derrière un pilier, elle avait eu du mal à le remarquer et plus encore à le reconnaître. Elle s’approcha avec un grand sourire, radieuse :

- Sallavïn ! Comme je suis heureuse de vous revoir. Oh ! Merci encore pour m’avoir prévenue tout à l’heure, votre conseil a été précieux pour l’entretien. Tout s’est bien passé pour vous ?

Elle se campa devant lui, grignotant distraitement quelques victuailles de son assiette, picorant ce qu’elle avait choisi à la façon d’un petit oiseau ou d’un rongeur.

Pod était passée juste après Lillya et contrairement à ce qu'il avait craint, cela n'avait pas été à son désavantage, car il avait le sentiment que l'entretien s'était bien passé.
Lorsqu'il quitta la pièce, l'image de la duchesse et la mélodie de son rire résonnaient toujours dans son esprit.

Voilà une femme que j'aiderais avec plaisir ! Ses enfants ont un bel exemple à suivre...

Pod fit un sourire d'encouragement à Sallavïn, qui le suivait pour l'entretien, puis un serviteur le conduisit aux jardins.
Encore une fois, les choses avaient été faites en grand ! Le gnome n'avait pas assez de tout ses sens pour prendre la mesure des lieux et des gens qui l'entouraient. Pourtant, la lassitude d'une journée bien remplie commençait à retomber sur les épaules de Pod, peut habitué aux veillées tardives. Il suivit pourtant diligemment son guide jusqu'à sa tente et le remerçia vivement.

Pas sûr d'avoir faim... pensait-il lorsqu'il fut seul. Mais je me rafraichirais bien un peu.

Pod vérifia son sac à dos et fut heureux que rien ne manqua. Il y glissa sa fronde et son sac de billes, puis sa dague avant de le ranger au pied de son matelas. Le brouhaha qui filtrait au travers de la toile de tente formait une mélopée qui résonnait telle une berceuse à ses oreilles. C'est dodelinant de la tête, ses yeux de fermant d'eux même, qu'il se nettoya les mains et la frimousse.
Propre, il se posa sur le matelas une seconde... pour se laisser happer par un sommeil agité.

Juste une minute ! Et je rejoins les autres pour le dîner... furent ses dernières pensées cohérentes.

Une fois la dernière candidate apprêtée – lavée, habillée et servie en nourriture – le mot commença à circuler qu’on n’allait pas tarder à annoncer le programme du lendemain. Et en effet, en arrière de la scène, on voyait s’avancer monsieur l’intendant – un homme d’âge mur dont les drapés ne parvenaient pas tout à fait à camoufler son embonpoint prononcé. À ses côtés se tenait la duchesse revêtue d’une tenue plus festive. Damianos se tenait quelques pas derrière, en compagnie d’une femme âgée qui lui ressemblait
Lorsque l’artiste occupant la scène eut terminé sa représentation, l’intendant prit sa place et adressa un signe aux gardes postés devant les tentes des candidats. Ces derniers vérifièrent d’un coup d’œil que les chapiteaux étaient vides. Quelques domestiques passèrent également parmi la foule de candidats et d’invités pour demander à la fois le silence, et qu’on se rapproche de la plateforme centrale.

- AHEM, fit l’intendant d’une voix forte. Est-ce que tout le monde m’entend ? Parfait. Pour commencer, j’aimerais tous vous remercier, de la part de la Duchesse et sa famille, de vous être déplacés – certains depuis très loin – jusqu’au domaine Bracque-Croiset. Chers invités, chers candidats, c’est un honneur de vous offrir l’hospitalité pendant ces quelques jours. Bienvenue en Antikyra !

À ces mots, dame Irene et le reste de sa famille s’inclinèrent gracieusement.

- Parmi nous, j’aimerais également souligner la présence de quelques invités d’honneur. Et notamment celle de nos voisins, le duc de Brademaux-Refais et son épouse ! Ainsi que le duc de Bracassay, venu du lointain duché de Tërpan !

Lorsqu’on annonça la maison Brademaux-Refais, un vieil homme à l’air usé se leva de sa chaise avec l’aide de sa femme pour saluer l’assemblée. Le second Duc, à peine plus jeune mais a l’air jovial et bien portant, salua à son tour. Ce dernier possédait un bras en écharpe et des vêtements de riche fabrique.

- Les autres Duchés (Pangaïon et Karkavek) ont chacun envoyé un représentant. Notons aussi la très honorable présence d’un chef de clan dvaerg – celui des Bharrig, établis au nord-ouest de nos frontières.

L’intendant laissa le temps aux personnes concernées de saluer, puis se gratta de nouveau la gorge avec force.

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- Bien. Avant de vous laisser retourner profiter des festivités, laissez-moi vous détailler le programme des deux prochains jours.
« Demain matin, dès la fin du petit déjeuner, nous nous dirigerons vers les carrières du domaine afin d’assister aux concours équestres (obstacles et dressage), puis aux tournois à l’épée. L’après-midi, nous poursuivrons les compétitions sportives avec les joutes équestres puis les tournois de tir à l'arc. Tous les candidats maîtrisant le maniement de l’épée, de l'arc ou la pratique équestre sont invités à participer.
« Pendant ce temps, du matin jusqu’en milieu d’après-midi, nous invitons aussi les artistes en tous genres (chanteurs, musiciens, peintres, danseurs, poètes, conteurs) à préparer une œuvre sur le thème de la jeunesse, et qu’ils destineront au futur duc Timotheos.
« La soirée de ce premier jour sera ainsi consacrée à la représentation ou exposition de ces œuvres. Enfin, après le dîner, nous aimerions entendre quelques récits de chasse ou anecdotes de preux guerriers pour finir sur une note héroïque.

L’intendant, la main sur le ventre, le sourire aux lèvres, semblait particulièrement fier de lui pour cette dernière idée, et attendait un retour de son public sur le sujet.

- AHEM. Le jour suivant, après le petit déjeuner et jusqu’en milieu d’après-midi auront lieu les épreuves intellectuelles sur divers domaines – lettres, cultures étrangères, économie et gestion, histoire et géographie, politique, anatomie et premiers soins, herboristerie, Connaissances des bêtes, Arcanes... Il me semble que je n’oublie rien. Les candidats postulant pour une même matière seront mis en compétition, et devront répondre avec la plus grande rapidité et pertinence possible. Une exception pour les épreuves de traduction et de calligraphie qui se feront à l’écrit.

« La famille Bracque-Croiset et quelques experts invités pour l’occasion prendront ensuite le temps de délibérer, puis annonceront les résultats juste avant dîner. Les candidats désignés précepteurs se verront alors accorder une distinction par le jeune duc Timotheos lui-même !
Naturellement, nous fêterons leur réussite pendant la soirée.
« J’aimerais préciser que nos hôtes venant de loin pourront rester quelques jours de plus, le temps de se reposer avant de faire le trajet inverse.

« Avant de vous laisser profiter des réjouissances, j’invite tous les candidats à inscrire leur nom pour chacune des épreuves qu’ils souhaitent passer. Un scribe se tiendra à l’entrée de la Villa, vous n’aurez qu’à lui préciser les matières qui vous intéressent.

« Merci pour votre attention !

L’intendant salua, puis s’éloigna vaquer à d’autres affaires. La Duchesse et sa famille partirent se mêler aux invités de marque, et l’ambiance de fête reprit progressivement de l’ampleur.

Podness ouvrit les yeux, paniqué ! Flûte ! Combien de temps ai-je dormi ? Les oreilles aux aguets, il essayait d'entendre un indice sur ce qu'il se passait dehors. Il fut rassuré d'entendre des rires et des conversations animées. Il se redressa aussitôt, mais dût porter la main à sa tête, le monde se mettant à tourner affreusement. Houtch, trop vite ! Il se contenta donc de ramper à quatre pattes jusqu'à l'entrée de la tente, glissant les yeux entre les pans de toile pour en avoir le coeur net. Oui... c'est bon ! Enfin... je crois. Pod s'agenouilla, ferma les yeux et respira doucement afin de reprendre le contrôle.

- Aller ! Il est temps de rejoindre les autres ! se dit-il à lui-même, se levant enfin.

Les lampions disséminés un peu partout éclairaient assez peu le jardin en fin de compte et seule la vision nocturne du gnome lui permit de distinguer les visages alentours. Il y avait tellement de monde ! De ce qu'il constata, le repas était bien entamé pour la plupart et il eut peur d'avoir loupé les explications pour le lendemain. Alors, il chercha des visages connus, afin de savoir ce qu'il avait raté...

Il venait de repérer le sourire de Kayla qui tenait compagnie à Sallavïn lorsqu'il vit arriver l'intendant... et la duchesse ! Il écouta attentivement les annonces, jetant de fréquents coups d'oeil aux melessës, pour voir leurs réactions.
A priori, le lendemain n'allait pas vraiment être sa journée... équitation, combat à l'épée, tir à l'arc !

Quoique si la magie est autorisée pour le combat, çà pourrait être intéressant ! se dit-il en repensant à ses cours de défense.

Alors, il s'autorisa à rejoindre les deux autres.

- Ehy ! Alors, çà s'annonce intéressant ces épreuves ! s'écria-t-il comme entrée en matière.

Le sang-mêlé eu le temps de sentir le temps long et, la panse agréablement remplie, comme il écoutait les chants et les récits les yeux clos, il sombra dans un état de semi sommeil bienheureux, sentant les courbatures dans ses mollets se détendre lentement. Les jeux ici étaient disciplinés, nulle bagarre, aucun bras de fer, rien qui ne lui attire l'attention suffisamment pour qu'il sorte de ses rêveries.

Quant une voix le tira de sa béatitude, il ouvrit un œil, puis l'autre, constatant que la nuit était posée au dessus de la villa avant de reconnaître la chanteuse de tantôt. Il hocha la tête à sa question, souriant légèrement. Cependant, il n'osa pas répondre en prenant la parole car déjà des chuchotements intimaient la foule au silence.

Il se redressa en déchiffrant les propos de l'intendant sans difficulté, il observa la famille ducale avec attention. Pendant ce temps, il oublia totalement de noter le nom des autres personnes en présence, retenant uniquement que l'un d'eux avait le bras cassé, ce qui était une manière fort peu polie de le présenter selon lui. Sans doute des jeux de nobles...

Puis vint le détail du programme, qui fit se dresser imperceptiblement la pointe des oreilles de Sallavïn. Concours équestres, tournois à l'épée, joutes équestres et tournois de tir à l'arc. Il ouvrit de grands yeux. Intense ! Les épreuves à cheval, où pouvaient arriver les pires blessures, précédaient toujours les autres... Un mode de sélection qui ne pouvait pas le rassurer, mais l'excitait tout autant ! S'il n'avait aucune confiance en ses capacités d'archer, il était certain de voir trouble au moment de lâcher ses flèches après une telle journée. Intéressant ! Je sais monter à cheval, me battre et tirer à l'arc alors... la journée sera longue ! *

Le programme de la deuxième journée, en revanche, lui poserait problème. S'il avait de vagues notions de gestion, d'histoire et géographie ou de cultures étrangères, cela passait bien souvent par le spectre théologique, qui n'était pas une notion principale... Ne lui restait plus qu'à briller demain ! Après tout, la duchesse avait foi en ses capacités !

Un sourire aux lèvres, les yeux brillant d'une détermination joyeuse, repensant aux exploits de ses parents qu'il pourrait conter pour clore les épreuves, Sallavïn vit à peine le petit être se glisser à ses côtés. *Podness ? Ou quelque chose comme ça ! Soucieux de ne pas offrir au gnome le spectacle de ses hanches, le sang mêlé retrouva sa position assis en tailleur pour lui répondre dans le parler elfique que Podness avait semblé apprécier :

- Très ! J'espère me montrer à la hauteur de mes adversaire demain ! Je suppose que l'on se croisera plutôt au dîner ?

Il posa sa question d'abord au gnome, puis interrogea du regard la musicienne. S'il avait bien saisi, ceux là ne seraient pas en concurrence avec lui, autant passer une soirée agréable en leur compagnie.

Son sourire le rassura, bien qu’elle n’eût guère le temps d’entendre sa réponse. Son assiette était à peine entamée que l’intendant venait déjà leur exposer le programme des deux prochaines journées. Kayla déglutit et se tourna vers la scène, attentive. Il y avait tellement d’épreuves et si peu de temps pour se préparer. Sous le regard de la duchesse et de sa famille, la jeune femme se sentait saisie d’un émoi indescriptible, elle avait chaud, le feu aux joues, mais un vaste sourire enthousiaste éclairait son visage.

La première journée serait essentiellement allouée aux épreuves physiques et à la préparation des artistes pour le soir. La melessë songea qu’elle n’était pas une mauvaise lame elle-même et qu’elle aurait pu tenter de s’inscrire au tournoi à l’épée. Cependant, pouvait-elle prétendre enseigner l’escrime ? Est-ce qu’elle pouvait se permettre de quitter ses partitions le temps d’une joute ? Et surtout, avait-elle la moindre chance face aux maîtres épéistes présents ? L’image du fier nain et de ses biceps gros comme sa taille lui revint en mémoire. Son regard se coula vers la silhouette de Sallavïn à ses côtés. Même sous son armure elle avait noté la large carrure du demi-sang, mais maintenant qu’il ne portait plus qu’une fine chemise d’été, il ne lui restait que peu de doute quant à la force de ces bras, la vigueur de ces mains et la robustesse de ce torse. Comment pouvaient-ils avoir les mêmes origines, tous les deux, et être si fondamentalement différents physiquement ? Non, clairement, elle ne pouvait pas affronter des êtres pareils ; pas sans risquer de se faire littéralement écraser. Or, pour un barde, un doigt foulé suffisait à faire chuter le rideau sur des espoirs de performances grandioses. On ne la verrait pas faire montre de ses talents de combattante demain, mais elle avait bon espoir d’avoir le temps d’écrire un chant sur la jeunesse satisfaisant et fournir un récit héroïque stimulant, c’était déjà ça.

Le surlendemain, auraient lieu les épreuves intellectuelles. Kayla pouvait tenter d’y participer, elle n’était pas mauvaise en traduction et elle possédait quelques connaissances historiques, médicales, ainsi qu’en herboristerie et en sciences naturelles. Prise dans sa réflexion elle ne remarqua Podness que lorsqu’elle entendit ses remarques sur le concours. Elle se retourna vers lui et le salua d’un hochement de tête, puis, imitant Sallavïn elle s’assit près des deux hommes. Elle rabattit ses jambes le long de ses cuisses pour y poser son assiette, avant de répondre au gnome.

- Oui ! J’ai tellement d’idées pour l’œuvre du jeune duc. J’espère que ce que je ferai l’inspirera.

Elle frissonna en sentant l’inspiration lui venir : des astuces de représentation, des paroles et des mélodies lui venaient déjà en tête. Était-ce impoli d’aller chercher un parchemin pour commencer à les noter dès maintenant ? Sans doute… A la place, elle poursuivit :

- Je songeais à participer au tournoi d’épée, dit-elle, les yeux rieurs. Mais je préfère conserver tous mes membres pour les épreuves du soir.

Ses yeux détaillèrent à nouveau le jeune melessë, de haut en bas, comme intimidés, avant de se poser à nouveau sur Podness.

- Et vous ? Quels sont vos talents, en dehors du dessin ? demanda-t-elle, le regard brillant en songeant au merveilleux croquis qu’elle avait pu entrevoir tantôt.

Kayla et Sallavïn accueillirent Pod avec le sourire, ce qui encouragea Pod à s'installer à leur côté. Il était heureux d'avoir pu trouver d'autres candidats avec qui parler, et qui ne soient pas en concurrence avec lui. Même s'il avait du mal à se l'avouer, être aussi loin de chez lui et de ses repères lui pesait beaucoup.
Le jeune melessë s'installa à même au sol, donnant l'occasion à Pod d'être à leur niveau. Le remerciant d'un large sourire, il l'imita.

- Oui, vous êtes à l'aise une lame à la main, répondit-il, plus affirmatif qu'interrogatif... Sans vouloir vous offenser, vous devez avoir bien d'autres talents ! Ajouta-t-il précipitamment, car cela pouvait être mal interprété.

Kayla était à moitié dans ses pensées, mais elle s'expliqua à son tour. A son trait d'humour, il rit de bon coeur, se permettant d'enchaîner.

- J'y ai pensé également, je ne me débrouille pas si mal avec une dague ! expliqua-t-il en jetant un oeil vers sa ceinture. Mais je doute que mes techniques habituelles soient acceptées en tournoi... finit-il dans un souffle, énigmatique.

Puis la véritable question fut posée par la baladine et Pod dût bien admettre qu'il n'était pas encore certain des disciplines où il se sentirait le plus à l'aise... La calligraphie exceptée bien entendu. Son commentaire sur son talent de dessinateur lui fit monter le rouge aux joues et il remercia intérieurement le peu de luminosité ambiante.

- Eh bien, j'ai étudié de nombreuses années au monastère Azur, sur plus de sujets qu'il ne m'est possible d'en énumérer en une soirée... Commença-t-il. Mais j'ai surtout la chance d'avoir été choisi par la Lune Eternité...

Il fit alors un clin d'oeil à son auditoire et leur fit signe d'attendre un instant. Après un regard alentour, il enchaîna un mouvement rapide des mains puis prononça à voix basse... Manipulem [Lance tour de magie : Manipulation à distance]
L'air miroita une seconde à quelques mètres d'eux puis la forme fantomatique d'une main se matérialisa. Alors que Pod se concentrait, celle-ci attrapa un verre sur le plateau d'un serviteur puis flotta vers eux pour finalement le tendre à Kayla.
Très fier de son petit tour, le gnome était tout sourire.

Il semblait que tous les invités soient arrivés, car les rumeurs allaient bon train. Il était dailleur surpris par le nombre de convives; les épreuves allaient être sérrées.

Retourné nonchalamment au buffet pour y chercher du dessert ainsi que de quoi remplir à nouveau son verre de ce vin blanc qui c’était révélé plutôt gouteux, Boréas suspendit sont geste aux signes des domestiques de se rapprocher de la scène. Il décida de poser son verre, mais récupéra quelques fruits. La famille ducale avait décidément le sens de la mise en scène.
À moins que ce ne fut lui qui ne soit pas assez habitué. Plutôt ça.

Il écouta l’intendant vanter les mérites des nobles venant de loin, repensant à sa traversé mouvementé depuis Smotegorod. Nimporte quel autre voyage terrestre lui semblait une promenade de santé en comparaison. D’autant qu’il lui semblait bien que de nombreux participants venaient de beaucoup plus loin.

À l’annonce du programme, Boréas se félicita d’avoir renoncé à son deuxième verre d’alcool. Il allait avoir besoin de toute son énergie pour les joutes du lendemain.
Concours équestre et joutes, tir à l’arc, herboristerie, Connaissances des bêtes... Il nota mentalement le nom de chaque discipline qui pourrait le concerner, tout en essayant de rester cohérent. Anatomie et Premiers soins... il hésita. Il avait soigné plusieurs hommes dont lui-même ou ses apprentis sur les maladies ou blessures mineures de la vie rurale, mais uniquement par nécessité lorsqu’aucun médecin n’était disponible. c'est-à-dire souvent dans ses montagnes. Concernant les bêtes en revanche il se sentait confiant. Mais qu'en était-il de ses compétences champêtres face à un érudit et ses cartes anatomiques; les deux jours allaient probablement être suffisamment éprouvants pour ne choisir que des champs où il était sûr d’avoir ses chances.

Les participants se doutaient-ils que les épreuves d’équitation commenceraient d’abord par réussir à tenir en selle ?
Il risque d’y avoir de la casse.
Même si l’idée de voir ses précieux chevaux malmenés lui faisait horreur, il espéra tout de même que certains cavaliers seraient assez intelligents pour gagner leur confiance proprement au risque d’être eux-mêmes martyrisés. Peut-être il y aurait-t-il même un appairage naturel ? Ce serait l’idéal. Car dans le cas contraire, il aurait lui-même peu de chance d’être retenu; qui croirait un vainqueur qui aurait lui-même fourni les destriers? À l’idée qu’il puisse être accusé d’avoir truqué les épreuves en sa faveur, il eut une sueur froide. En plus de sa réputation encore vierge, il perdrait dans la foulé et à vie, un marché potentiel extrêmement conséquent en les spectateurs et nobles présents. Vallia ne lui pardonnerait jamais une telle Bérézina! Ses bêtes étaient impartiales; il avait cependant tout intérêt à ce que la démonstration de lendemain soit épique, afin d’obtenir des commandes de destrier à défaut d’un poste d’instructeur.
Peut-être va-t-il falloir forcer un petit peu le destin

Afin de comprendre comment les autres participants envisageaient leurs inscriptions, et par envie de discuter pure et simple après autant de réserve, Boréas se força enfin à sortir de sa zone de confort.
Allez mon vieux, secoue-toi les puces.
Avisant un groupe qui discutait calmement et dont il avait apprécié les commentaires respectueux durant l’attente des entretients, il saisit un plateau de fruits sur le buffet et s’approcha.

- Bonsoir. Je m’appelle Boréas. Puis-je me joindre à vous ? Dit-il en souriant simplement.

Hochant la tête humblement devant le compliment du gnome, même s'il ne l'avait jamais vu se battre. je dois avoir l'air d'un rustre, pour eux ?

Quand la frêle jeune femme aux oreilles pointues évoqua l'idée de s'inscrire en tant qu'épéiste et non pas musicienne, Sallavïn leva des sourcils étonnés. Sa référence de femme guerrière mesurait près de deux mètres, maniait une épée plus lourde qu'un maillet et restait invaincue au bras de fer contre lui. Il savait que certains épéistes coulaient comme l'eau, mais tout de même ! Est-ce qu'elle plaisantait ? Elle plaisantait !

Le demi elfe sourit donc, trouvant cette compagnie plus agréable qu'il ne l'avait craint plus tôt dans la journée. Chacun semblait s'être fait plus propre, une attention qui n'était pas pour lui déplaire. Podness évoqua également l'idée de combattre, dague en main, une farce de plus qui lui décrocha un plus grand sourire, honnête. Ils n'avaient pas l'air de fanfaronner, évoquant leurs faiblesse avec humour entre parfaits inconnus, un gage de confiance qu'il apprécia à sa juste valeur. Le tour du magicien -s'en était donc un- le stupéfia assez pour qu'il reste coi, sans chercher à relancer cette discussion. Il n'avait que très peu de qualités à vanter et n'avait pas l'intention de comparer sa force à la leur pour le plaisir de leur faire une démonstration.

Et puis ! Un nouvel arrivant fit son apparition au dessus d'eux, tenant une coupe pleine de fruits. Boréas Boréas Boréas Boréas. Faisant un signe de la main pour l'encourager à s'asseoir, Sallavïn mesura la longueur du silence qui s'installait pendant que Podness et Kayla buvaient à leurs coupes, prenant sur lui pour le briser tout en réalisant qu'il avait également soif :

- Installez vous Boréas. Je suis Sallavïn Tamrel et voici Kayla et Podness. Vous participerez demain ?

Un hochement de tête accueillit les commentaires de Podness sur ses aptitudes à la dague. On pouvait être petit, mince et néanmoins redoutable, surtout si on pouvait compenser le manque de force brute par de l’astuce et de l’agilité. Son assentiment silencieux se changea bientôt en émerveillement joyeux quand le jeune homme fit léviter un verre pour elle. De la magie !

- Merci ! s’exclama-t-elle en saisissant la boisson, un vaste sourire traversant son visage. Je maitrise moi-même quelques tours, mais je vous les réserve pour la représentation de demain, poursuivit-elle, les yeux brillant de malice. Il faut bien qu’un barde garde quelques secrets…

Elle tapota ses lèvres d’un air empreint de mystère. Elle devait ménager ses effets pour en garantir le meilleur usage, même si elle brulait d’envie de déjà montrer ce qu’elle savait faire. Toutes ces personnes étaient vraiment incroyables, pleines de surprises. Elle avait tellement hâte de voir Sallavïn à l’œuvre le lendemain. Il était si silencieux et discret, mais il se dégageait de lui un je ne sais quoi de… Chevaleresque ! Était-ce insouciant si elle assistait à quelques épreuves pendant qu’elle répétait, demain ? Si elle n’en voyait que quelques-unes, pendant ses pauses, cela l’inspirerait peut-être ? Elle veillerait à avoir une plume et du parchemin sur elle pour profiter de chaque intuition !

Elle sirotait paisiblement le contenu du verre que lui avait donné Podness quand une quatrième personne se joignit à eux avec un plat de fruit. C’était un humain, pas très grand et nettement plus âgé que les membres du jeune trio. Il avait une apparence plutôt banal, mais il se dégageait de lui un tel calme, que la demi-sang se sentit presque immédiatement à l'aise avec lui. A sa grande surprise, ce fut le silencieux melessë qui fit les présentations. A l’énoncé de son nom, Kayla inclina légèrement le buste en affichant un sourire avenant. Pendant que le paladin s’enquérait de la participation de Boréas aux épreuves, elle nota que certains parmi eux manquaient de boisson et dans la chaude soirée, cela n’était pas bon. Elle déposa son assiette au centre de leur cercle et sauta sur ses pieds dans un geste souple.

- Je reviens, je vais chercher un pichet d’eau fraiche pour accompagner les fruits et ce que j’ai récupéré moi-même. Servez-vous, je vous en prie, j’en ai beaucoup trop pris.

Elle partit en trottinant pour revenir presque aussitôt avec une carafe pleine et des verres pour ceux qui n’en aurait pas, dont un qu’elle tendit à Sallavïn.

Pod fut heureux que son tour de magie ait fait son petit effet. Il n'en demandait pas plus pour le moment. Pourtant, il était bien conscient que cela ne suffirait certainement pas à lui assurer une place. Kayla précisa d'ailleurs qu'elle aussi avait quelques tours dans sa besace. Point de duel de magie ou d'épreuve en ce sens au programme ! Il allait devoir faire confiance en ses connaissances en mécanique et en calligraphie s'il voulait remporter le surlendemain.

Un homme d'âge mûr les rejoignit alors, leur proposant des fruits comme dessert. Un petit gargouillis de ventre prévins Pod, et il espérait lui seul, qu'il avait un peu faim finalement. S'inclinant en signe de respect, il sourit au dénommé Boréas et tendit la main, faisant mine de prendre un fruit sur la plateau qu'on lui tendait. Lorsqu'il fut sûr qu'il était bien invité à le faire, il se servit.

- Merchi, fit-il en mordant à pleines dents. Avisant son impolitesse, le rouge lui monta aux joues et il avala sa bouchée avant de reprendre, penaud.
" Merci Boréas.

Il prit ensuite un verre d'eau que lui tendait Kayla. Son estomac allait déjà mieux.
Ce fut à ce moment qu'un aspect désagréable de l'entretien lui revint en tête... Il regarda la nourriture et le nouveau venu d'un oeil légèrement inquiet. Essayant de cacher ses noires pensées derrière un sourire de façade, il se demandait s'il devait aborder le sujet.
Finalement, il décida que oui et c'est en observant attentivement les réactions de son auditoire [Intuition si nécessaire] qu'il dit, juste assez fort pour être entendu :

- Saviez-vous que plusieurs membres de la famille de la duchesse sont morts récemment ?
" Cela a beaucoup affecté le petit...