Elindine d'Enumasam
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Fëanor fit une moue intriguée, alors qu'Elindine lui avouait ne cacher certaines choses - ce qu'elle faisait en ce moment ? - que pour le Bien.
Puis il accusa le coup, lorsqu'elle lui montra qu'elle n'était pas dupe de son petit manège. Ses tentatives pour noyer le poisson avaient été veines. Après tout, il commençait à connaître suffisamment la roublarde pour savoir qu'elle ne s'en laissait pas conter aussi facilement.
Appuyant ses arguments avec force, elle réussit à piquer le prêtre au vif et faire basculer ses convictions.
Fëanor soupira, fixant le sol un instant avant de croiser à nouveau le regard d'Elindine.
- Très bien ! Finit-il par dire.
" Mais avant que je te partage ce secret, j'ai besoin que tu saches ce que cela implique...
Il hésita une demi-seconde, puis désigna les chaises branlantes qu'ils s'étaient installés la veille.
- Ça pourrait être long... Expliqua-t-il.
Un petit sourire en coin éclaira son visage d'une lueur victorieuse et Elindine se déplia pour aller chercher leur outre d'eau et la poser devant une des deux chaise, s'installant dans l'autre tranquillement.
- Je pense que nous pouvons nous offrir ce temps, éventuellement entre deux choses que nous devons faire, si tu as besoin de pause. Quand tu auras fini, si tu as aussi l'impression que je te cache des choses, nous pourrons en parler. Il n'y a pas de raison que je sois la seule à avoir des exigences sur ce point.
Et elle lui désigna la chaise avec un geste nonchalant, mais encourageant.
Le melessë prit place, acquiescent à la proposition d'obtenir des réponses à son tour.
Il prit le temps de chercher la meilleure façon d'aborder le sujet et de s'hydrater, l'outre d'eau étant la bienvenue en la circonstance.
Après une inspiration, il commença.
- Comme je te l'expliquais, ma mère, Mìriel, était grande prêtresse de Nolwë. Elle m'a élevé dans le respect des préceptes de notre Ordre. Elle me chantait et me contait les légendes de la déesse.
" Lorsque j'ai fêté mes douze ans, elle m'a confié à Guizot, le guide suprême d'un monastère dédié à Nolwë, sur une île au large d'Acoatl.
" Lorsque j'eu l'âge requis, je suis parti séance tenante à la recherche de ma mère. Je n'arrivais pas à accepter qu'elle m'ai abandonnée ainsi !
Il marqua une pause et Elindine compris que malgré l'acceptation, les souvenirs de ces moments restaient vivaces pour lui et qu'il était douloureux d'évoquer le sujet.
- Cinq ans...
" Il m'a fallu cinq ans à parcourir les mers, les îles et la jungle d'Acoatl pour retrouver sa trace...
Cette fois, les larmes silencieuses coulaient sur les joues du melessë qui continua néanmoins, la voix déformée par le chagrin.
- Elle était morte pendant sa quête, tuée pendant une bataille avec des pirates des îles barbaresques. Ses anciens compagnons l'ont enterrée à Motunui, avec un message à mon intention.
Essuyant ses larmes d'un revers de manche et reprenant son calme, Fëanor releva la tête pour mieux plonger ses yeux acier dans ceux d'Elindine.
- Dans ce message, elle me confiait la quête qui avait été la sienne, une quête qui lui avait prit une vie et où j'avais été une parenthèse enchantée. Au nom de mon Ordre et de la déesse, elle me demandait de prendre sa suite...
" D'autres avant elle s'y sont consacrés et nul n'en connais les détails sans faire parti de cette quête.
" Si je t'en dis plus, je dois avoir ta promesse que tu m'aidera... ou que tu emporteras ce secret avec toi dans la tombe. Nolwë en sera témoin et les conséquences pourraient être bien pires que la mort si tu venais à divulguer ce secret, même contre ton gré !
Le ton du prêtre était grave et son regard perçant. La rôdeuse ne l'avait jamais vu ainsi.
Elindine écoutait paisiblement, l'air concentré et attentif. Quand il conclut elle n'eut pas l'air choquée ni surprise de son sérieux, elle prit simplement un moment pour réfléchir, pesant visiblement ses options.
- Je ne te promets pas mon aide, parce que je ne sais pas si ta quête s'alignera sur mes aspirations mais... Mes perspectives de retour à la maison ce sont récemment obscurcies et j'ai toujours envie de voyage, alors... Pourquoi pas ? En revanche si je ne te suis pas après notre histoire ici, je promets de vivre comme si tu ne m'avais jamais rien dit, finit-elle d'un ton qui ne laissait aucune place au doute.
Si le prêtre accepta l'explication d'Elindine, il ne le montra pas. Immobile, ses yeux fixés dans les siens, ils semblaient vouloir sonder l'âme même.
A la distance où ils se trouvaient l'un de l'autre, la rôdeuse pouvait voir les iris de Fëanor et ce qu'elle y vit la fit frissonner, pas de peur ou d'angoisse, mais de froid. Pendant une seconde, elle eut l'impression de se retrouver au milieu des neiges éternelles du Septentrion, dans le domaine de la Maîtresse du temps, prisonnière des glaces infinies...
- Bien ! S'exclama soudain Fëanor, brisant le silence et ramenant Elindine à la réalité.
" Je te fais confiance, ajouta-t-il.
Abandonnant sa solennité, il lui sourit et reprit.
- Que sais-tu de la guerre de l'Aube ? Et des voyageurs ? L'interrogea-t-il alors.
La jeune femme sentit un frisson parcourir son échine. Elle allait s'éloigner sans demander son reste, quand Fëanor redevint aussitôt l'adorable et souriant jeune homme qu'il était habituellement. Eh bien ! Il était toujours bon de se voir rappeler à quel point la magie était terrifiante, surtout quand elle était emprunté à une divinité.
Sa bonhommie retrouvée, le melessë en vint directement aux colles historiques. Après un clignement d'yeux confus, suivi d'un grognement exaspéré, elle se plia à sa demande, avachie sur la table.
- Grmbl... Les Voyageurs sont les entités qui ont précédé l'apparition des dieux du Panthéon de l'Étoile et dont la disparition a marqué le début de l'Ère du Renouveau qui s'est conclue par la Guerre de l'Aube, quelque chose comme ça ?
Le sourire de Fëanor se fit franc et il pouffa à l'explication très approximative d'Elindine sur les événements fondateurs de leur monde.
- C'est très résumé... mais tu as l'idée principale, fit-il.
" Comme tout le monde le sait, Nolwë est une puissante déesse, qui a eu accès au savoir mythique des Voyageurs.
" Ainsi, lorsque la guerre de l'Aube ravagea Eana et que les hérauts de la déesse parcouraient le monde pour affronter les hordes du Chancre, elle confia au plus vaillant d'entre eux - Achronos - une relique du nom de Maître du temps.
Fëanor stoppa son récit, cherchant à voir l'effet qu'une telle révélation pouvait avoir.
- Depuis cette époque, notre Ordre est en quête de cet artefact.
" On lui prête de nombreux pouvoirs, dignes d'un serviteur divin.
Le prêtre stoppa à nouveau, laissant Elindine poser les questions qui devaient lui brûler les lèvres.
Comme tout le monde le sait, comme tout le monde le sait, tout le monde ne passe pas 8 ans à apprendre à servir une divinité en particulier, songea Elindine en reculant dans son siège et croisant les bras, l'air peu impressionné. Un dévot recherchant la relique de son dieu, c'était ambitieux comme quête, à défaut d'être original. Ce n'était pas la première fois que Fëanor évoquait l'idée d'avoir le potentiel de grands serviteurs divins, d'ailleurs. Pendant la discussion avec Marlborough et Malaval, il avait également suggéré qu'ils puissent être des sortes d'élus d'Éternité. La jeune femme ferma les yeux et pencha la tête en arrière en lâchant un soupir.
- Faut vraiment avoir du sang elfique et le temps qui va avec pour se farcir des objectifs pareils. L'artefact le plus recherché d'Haldrìn, rien que ça ? Et pour en faire quoi, plus explicitement ?
Du sang de quoi ? Hein ?
Fëanor s'attendait à une réaction un peu plus... Ou plutôt un peu moins...
C'est tout ce que ça lui fait ? S'interrogea-t-il en constatant le stoïcisme de la roublarde.
Si le prêtre n'avait pas commencé à connaître un peu la demoiselle, il l'aurait mal pris.
En l'occurrence, il se contenta de répondre à la question...
- Oui, une boussole à l'aspect anodin, ayant tout pouvoirs sur le temps... Le Maître du Temps.
" Avec un tel artefact, j'ai l'intention d'éradiquer le Chancre, expliqua-t-il avec calme et sérieux.
" Et si je n'y parviens pas, j'utiliserai la boussole comme la clef qu'elle est, pour la rendre à Nolwë en main propre.
Le dévot sourit à son interlocutrice, visiblement fier de ses révélations.
- Es-tu avec moi ? L'interrogea-t-il.
Elindine écoutait avec attention. Quand le jeune prêtre eut fini, elle avait toujours un air pensif. Elle s'étira finalement en arrière avec un soupir et un œil ouvert, fixé sur Fëanor.
- Sacrée ambition que tu as, Fanny. Si tu me permets, pourquoi tu voudrais que je t'aide dans cette quête, moi en particulier ? Je n'ai pas la sensation d'avoir dit ou fait quoique ce soit qui te laisserait croire que je serais de bonne compagnie pour ce travail.
Si les mots étaient directs et dits sans précaution, le ton était patient, calme, sans animosité et son attitude demeurait toujours aussi intéressée.
Fëanor poussa un long soupire, détaillant la jeune femme face à lui. Depuis qu'il avait découvert le lourd secret de sa mère et veillé sa tombe plusieurs jours durant, il avait enfin entrevue la possibilité de partager son fardeau et de dessiner une esquisse d'espoir dans cette quête impossible. Pourtant, la partie était loin d'être gagnée. Elindine n'était pas née de la dernière pluie et elle avait bien compris toute la portée de ce qu'il lui demandait.
Lui qui gardait toujours la foi, éternel optimiste, il répondit avec une pointe de résignation dans la voix.
- Je comprendrais si tu refusais...
" Mais peut-être trouveras-tu dans cette quête une raison de peindre l'espoir d'un monde meilleur à l'horizon de nos vies, nous pauvres mortels ?
" Et si ma présence ne t'insupporte pas trop, cela pourrait être l'occasion de voir naître ou grandir une belle amitié...
Il hésita un quart de seconde, puis attendit la réponse, personnification de l'espérance.
Un nouveau petit sourire se glissa sur ses lèvres, taquin et joueur. Elle se pencha en avant et murmura doucement.
- Donc... Si tu me le proposes c'est parce que tu m'aimes bien, essentiellement, et que tu as confiance en moi ?
Un petit rire de gorge se fit entendre et elle se redressa dans sa chaise, les bras croisés sous la poitrine.
- Très bien. Si tu le permets, je vais y réfléchir. On est bloqué l'un avec l'autre pour un moment, je le crains, autant que j'en profite pour réfléchir à ta proposition avec tout le sérieux qu'elle demande. Je te donnerai une réponse quand il faudra choisir ce que l'on fait après tout ça.
En imaginant que l'on y survive tous les deux songea-t-elle avec un regard plus pensif.
Fëanor, gêné, prit quelques couleurs lorsqu'elle se pencha en avant. Il acquiça d'un signe de tête à l'analyse de son interlocutrice, attendant le verdict.
Cette jeune femme le fascinait, il devait bien se l'avouer.
Nolwë, Grande Mère du Temps, est-ce que je fais bien de lui faire confiance ? Pria-t-il intérieurement.
Fëanor accueilli la réponse avec soulagement, bien qu'elle le laissait sur sa faim.
- Je comprends, lui dit-il calmement.
" Il m'a fallu du temps pour digérer la nouvelle. Je serais bien mesquin de te demander de prendre une décision en quelques minutes...
Ceci dit, il se redressa, s'étira, puis se dirigea vers son étude.
- Je dois avancer dans la lecture des documents... Expliqua-t-il.
" Si tu dois sortir, prends garde à toi s'il te plaît... Ajouta-t-il, les yeux fixant le plancher avec insistance.
Quelques mètres plus loin, la promesse d'Elindine de répondre à ses questions lui revient. Il s'arrêta et lança :
- Je n'ai pas oublié que tu me devais une réponse toi aussi... On en parlera plus tard si tu veux bien...
Edition
19/08/2024
10h51 par
Admin
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