Fort Ardraco (Scénario d'Ed Greenwood)

Le barde était inspiré et sa chanson se fit geste, épique spectacle d'une réalité tout aussi violente.
Il avait gagné l'intérêt de son auditoire, absorbé par le récit. Ainsi, plongés dans leurs aventures, ils oublièrent de lever leurs défense et le masque se fissura.
Les mimiques et autres mouvements involontaires firent parler le conte et sa suite. Pour les compagnons attentifs, il paraissait clair qu'ils en savaient bien plus qu'ils ne voulaient l'avouer et que le massacre en règle des défenseurs du Fort Ardraco n'était pas pour leur plaire.

Le seigneur d'Estinbuk, apparemment ignorant d'avoir été percé à jour, prit la parole quand Nizam eut terminé, ponctuant ses paroles d'un applaudissement sincère.

- Eh bien mon ami, vous avez un talent fou !
" Et vous méritez tous nos remerciements pour vos actes héroïques...

Bran ne cessait de remuer sur son siège, tentant comme il le pouvait de masquer son mal être face à la situation.
Il sentait bien que quelque chose se tramait. La présence du comte et de ses deux acolytes le troublait, et l'idée de devoir voyager à leurs côtés ne faisait qu'intensifier son inconfort. Pourtant, il lui était impossible d'en cerner précisément la cause.
Était-ce le discours ambigu du comte ou l'attitude de ses comparses ? Il manquait bien trop de pièces au puzzle...
Il jouait distraitement avec la nourriture dans son assiette, se contentant de regards et de sourires de politesse. Comme ces filles de compagnie qu'il avait observées dans son enfance, contraintes d'écouter leurs clients en feignant l'intérêt pour leurs récits. Il avait bien du mal à rester concentré au milieu des bruits environnants, des rires et des discussions qui animaient l'auberge.

Que n'aurait-il pas donné pour être ailleurs à cet instant précis...

Puis Nizam attrapa son instrument et se mit à jouer. Comme par magie, les premières notes capturèrent presque instantanément l'attention du jeune homme effaçant, l’espace d’un instant, le tumulte de l’auberge et l’agitation de ses pensées. La mélodie qui s'élevait et le ballet des doigts du barde qui courraient sur le oud lui rappelèrent un bref instant sa mère quand elle l'accompagnait durant leurs représentations.
Cette simple pensée lui permit de se détendre à un point qu'il se surprit à murmurer en rythme dans sa tête tandis qu'il faisait jouer son verre dans ses mains. Tout en écoutant la prestation de Nizam, il ne pouvait s'empêcher, par habitude de jeter un œil autour de lui afin de jauger de l'attitude de l'auditoire.
Les clients de l'auberge semblaient apprécier la ballade du barde et son histoire même Georges, l'aubergiste à l'allure si bourrue, semblait profiter de l'instant.
En tournant le regard vers le comte et ses hommes, il ne put s'empêcher de remarquer leurs réactions, aussi brèves furent-elles : des regards furtivement échangés, une mâchoire qui se crispait ou encore un bref froncement de sourcils... Autant de micro expressions trahissant la gêne, la frustration ou de la contrariété à l'évocation de certains moments de leur aventure. Le sentiment de malaise de Bran se transforma peu à peu en certitude, manifestement ils en savaient plus que ce qu'ils avaient dit et ils leurs cachaient encore des choses.

Quand Nizam eut terminé de jouer et que le comte applaudit, il se joignit bien volontiers aux félicitations de ce dernier.

- Vous nous avez offert là une bien belle prestation mon ami. Toutes mes félicitations.

Il leva son verre à l'attention du barde et ajouta en souriant.

- Et merci de m'avoir fait paraître bien plus héroïque que dans mon souvenir.

Même si les compliments étaient sincères, son attitude et son sourire n'étaient que façade. Il était maintenant persuadé qu'il fallait se méfier du comte et ne pas baisser sa garde, rester à l'affût. À nouveau conscient de la situation il cessa de remuer nerveusement sur son siège et se reconcentra sur l'instant, se fondant dans son rôle et veillant à ne pas éveiller les soupçons.

Sa représentation terminée, l'homme des sables salua son auditoire et laissa pleuvoir sur lui les messages élogieux. Il sourit chaleureusement à son compagnon aux oreilles pointues avant de se tourner vers le baron.

- C'est trop d'honneur que vous me faites, Messire. Un jour prochain, j'espère avoir la chance d'être invité à votre cours pour pouvoir jouer cette aventure - et d'autres évidemment - auprès de tous vos familiers.

Puis sans vraiment perdre le noble du regard, il esquissa un bâillement retenu.

- Oh, mes amis, je suis épuisé par toutes ces histoires. Bran, Elëwin, que diriez-vous que nous nous retirions pour nous reposer... Si Monsieur le baron nous y autorise, évidemment. Nous devrons nous lever de bonne heure demain, n'est-ce pas Tommy ? Au plus vite nous aurons réglé votre affaire de bandits, au plus vite nous pourrons en finir avec cet odieux culte qui met en péril les terres du seigneur d'Estinbuk !

Il profita de cette dernière boutade soigneusement cachée derrière sa naïveté pour regarder l'elfe lugubre une dernière fois. Il l'avait étudié toute la soirée du coin de l'oeil, l'air de rien. Il avait emmagasiné dans sa mémoire ses moindres mouvements, mimiques, ses tics, l'expression de son regard et le froncement de ses sourcil, de son front, jusqu'à sa manière de se déplacer. Il savait qu'à un moment ou à un autre, il se resservirait de tout cela.

Pour l'heure, il attendait juste l'autorisation de quitter le banquet avec ses amis. Clairement, il y aurait un tour de garde cette nuit.

Le baron, qui semblait enclin à accepter la proposition du barde, leva un sourcil à la mention de ses familiers, mais il ne releva pas, se contentant finalement de sourire.

Puis il fut question d'aller se reposer. A ce moment le dénommé Tommy, contrairement à son habitude, répondit lui-même à l'évocation de son nom.

- Je vous retrouverai donc ici demain, à la première heure. J'ai hâte de régler cette affaire et croyez bien que j'y consacrerait toutes les ressources à ma disposition...

Cet échange de regard fit froid dans le dos à Nizam qui eut l'impression qu'il lisait dans son esprit aussi facilement que dans un livre. Avait-il compris le piège qu'ils comptaient lui tendre ? Comment le pourrait-il ?

Elëwin s'était déjà levé, visiblement pressé de se diriger vers la chambre. Il jeta un dernier regard vers le drakéide, qui était lui-même en train de le dévisager. Troublé, l'elfe baissa les yeux. Quel rôle cet enfant de dragon jouait-il dans cette affaire ? Sa présence auprès du baron, alors qu'il était question de ces créatures dans toutes les ramifications connues de l'intrigue, n'était certainement pas fortuite.

Sam fût des plus confus suite aux réprimandes d'Elimith, il n'y avait eu aucune volonté de cacher quoique ce soit de son état, mais le prêtre avait déjà tellement fait. Il baissa donc la tête tout penaud.

- "Oui, d'accord, je suis désolé"

Lorsque le petit blond fût enfin seul, il contempla l'innombrable quantité de livres qui l'entouraient. Il avait ciblé des thèmes pour ses recherches : Eirderreth, Ardraco et Estinbuk.

Il mis son sac à dos dans un coin de la pièce afin d'être plus libre de ses mouvements et pouvoir monter aux échelles pour prendre les documents en hauteur, qui, pour lui, arrive très rapidement. Certains, étaient très poussiéreux, d'autres moins, mais cela ne le dérangeait pas, seul la connaissance lui était précieuse à ce moment là.

De temps en temps, entre certaines lecture, il pensait à ses camarades. Sam priait intérieurement pour que tout se passe bien malgré la mauvaise compagnie qui les côtoyaient en la personne du baron et de sa suite.

Nizam assura les mondanités d usage pour leur départ du banquet et grimpa l escalier à la suite du prêtre.

Arrivé en haut, il s assura qu il n était pas suivi, attendant quelques secondes, aux aguets. Puis. Au lieu de pénétrer dans leur chambre, il ouvrit la porte de la chambre de Tylooka sans frapper et referma derrière lui, dos à la porte, le doigt sur la bouche pour prévenir le drakéide de rester calme. Ne restait plus qu à prévenir Nora de le rejoindre pour qu il puisse exposer leur plan à leurs deux futurs éclaireurs. Poir cela, il reutiliserait son petit tour de passe-passe permettant d envoyer un message mental à son amie, qu il savait à coté.

Derniere inconnue... mais que faisait Sam ?

Monastère d'Aster

Sam se plongea aussitôt dans l'étude des divers manuscrits et parchemins entreposés dans la pièce. Bien entendu, il n'y avait ni étiquette sur les étagères, ni titre sur la tranche des précieux documents... Sans parler de l'absence totale de classement. Autant dire qu'il n'était pas aidé dans sa tâche.
Ainsi, il dût ouvrir avec précaution chaque ouvrage et tenter d'en deviner le contenu en lisant des passages au hasard... quand il parvenait à comprendre le language utilisé voir même à en comprendre le sens. Décidément, ils avaient bien besoin d'un bibliothécaire ici !

Deux heures s'étaient écoulées lorsqu'il se posa enfin sur un écritoire pour commencer sérieusement la lecture de deux ouvrages qu'il avait mit de côté. Ils portaient sur les légendes et la noblesse locales.
Le patois utilisé et les déliés du premier manuscrit compliqua de nouveau la tâche de l'halfelin qui s'abîmait les yeux à déchiffrer les pattes de mouche du scribe.

Sans s'en rendre compte, Sam termina sa lecture à une heure avancée de la nuit. Il avait mal à la tête et son estomac criait famine. Au moins, il avait découvert quelques points intéressants.

Tout d'abord concernant Eirderreth. Ce dragon avait dominé la région, sans la ravager, il y a un bon millénaire. Certains sages venaient même de loin pour lui demander conseils et c'est naturellement qu'un refuge avait été construit près de son antre. Par la suite, des fortifications avaient remplacé le refuge pour devenir un véritable fort avec le temps. Certains disaient même qu'Eirderreth avait fait venir des géants pour aider à la construction, posant un énorme rocher en travers des douves en guise de pont. Sam se souvenait du dit pont et voulait bien croire à cette légende.
Mais à une date incertaine, le dragon disparu, laissant les habitants du fort sans source de revenus ni raison d'exister. Était-il mort ? Avait-il décidé de quitter les lieux ? Personne ne savait.
Une lutte intestine des occupants du fort finit par éclater et se termina par un incendie dévastateur. Dès lors, les lieux à l'abandon furent livrés à l'épreuve du temps et aux assauts de la nature.

Concernant la famille Estinbuk, elle prenait sa source parmi les occupants du Fort Ardraco. Ils s'étaient installés au sud-ouest du village, au croisement des deux rivières qui irriguent les environs, non loin d'une colline aurifère qui avait remplacé le sanctuaire du dragon comme source de revenus. Gérant leur domaine avec sagesse, les générations se succédèrent sans fait notable. Il fut plusieurs fois question de reprendre possession du Fort, mais sa position, en dehors de toute route commerciale et les travaux nécessaires à sa rénovation découragea toute tentative.

Tylooka réagi instinctivement, attrapant ses épées posées sur le lit en un éclair, un juron aux lèvres, lorsque la porte s'ouvrit. Il se maudissait de ne pas s'être enfermé apparemment... Mais il retint son geste à temps, évitant à Nizam une dangereuse déconvenue. Interloqué, il n'appréciait guère l'injonction au silence mais il s'y contraignit, grimace à l'appui.
Quand au barde, il put prévenir la voisine qui lui répondit d'une voix ensommeillée... Il lui fallut faire patienter le drakéide une longue minute pour enfin entendre Nora quitter sa chambre pour les rejoindre.

Nizam n'eut aucun mal à trouver les arguments pour convaincre ces deux là de participer à leur embuscade. Ils avaient suffisamment de grief contre les instigateurs de cette mascarade et le plan semblait bien pensé, limitant les risques. Ils s'engagèrent donc à se tenir prêts. Ils se dissimuleraient au niveau du chariot accidenté...

Maintenant, il fallait se reposer pour affronter la journée suivante. Mais que faisait Sam ? Devaient-ils aller le chercher au monastère ? Devraient-ils prévoir un crochet là-bas le lendemain matin ?