Thomiry devaldoré
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Bran ne cessait de remuer sur son siège, tentant comme il le pouvait de masquer son mal être face à la situation.
Il sentait bien que quelque chose se tramait. La présence du comte et de ses deux acolytes le troublait, et l'idée de devoir voyager à leurs côtés ne faisait qu'intensifier son inconfort. Pourtant, il lui était impossible d'en cerner précisément la cause.
Était-ce le discours ambigu du comte ou l'attitude de ses comparses ? Il manquait bien trop de pièces au puzzle...
Il jouait distraitement avec la nourriture dans son assiette, se contentant de regards et de sourires de politesse. Comme ces filles de compagnie qu'il avait observées dans son enfance, contraintes d'écouter leurs clients en feignant l'intérêt pour leurs récits. Il avait bien du mal à rester concentré au milieu des bruits environnants, des rires et des discussions qui animaient l'auberge.
Que n'aurait-il pas donné pour être ailleurs à cet instant précis...
Puis Nizam attrapa son instrument et se mit à jouer. Comme par magie, les premières notes capturèrent presque instantanément l'attention du jeune homme effaçant, l’espace d’un instant, le tumulte de l’auberge et l’agitation de ses pensées. La mélodie qui s'élevait et le ballet des doigts du barde qui courraient sur le oud lui rappelèrent un bref instant sa mère quand elle l'accompagnait durant leurs représentations.
Cette simple pensée lui permit de se détendre à un point qu'il se surprit à murmurer en rythme dans sa tête tandis qu'il faisait jouer son verre dans ses mains. Tout en écoutant la prestation de Nizam, il ne pouvait s'empêcher, par habitude de jeter un œil autour de lui afin de jauger de l'attitude de l'auditoire.
Les clients de l'auberge semblaient apprécier la ballade du barde et son histoire même Georges, l'aubergiste à l'allure si bourrue, semblait profiter de l'instant.
En tournant le regard vers le comte et ses hommes, il ne put s'empêcher de remarquer leurs réactions, aussi brèves furent-elles : des regards furtivement échangés, une mâchoire qui se crispait ou encore un bref froncement de sourcils... Autant de micro expressions trahissant la gêne, la frustration ou de la contrariété à l'évocation de certains moments de leur aventure. Le sentiment de malaise de Bran se transforma peu à peu en certitude, manifestement ils en savaient plus que ce qu'ils avaient dit et ils leurs cachaient encore des choses.
Quand Nizam eut terminé de jouer et que le comte applaudit, il se joignit bien volontiers aux félicitations de ce dernier.
- Vous nous avez offert là une bien belle prestation mon ami. Toutes mes félicitations.
Il leva son verre à l'attention du barde et ajouta en souriant.
- Et merci de m'avoir fait paraître bien plus héroïque que dans mon souvenir.
Même si les compliments étaient sincères, son attitude et son sourire n'étaient que façade. Il était maintenant persuadé qu'il fallait se méfier du comte et ne pas baisser sa garde, rester à l'affût. À nouveau conscient de la situation il cessa de remuer nerveusement sur son siège et se reconcentra sur l'instant, se fondant dans son rôle et veillant à ne pas éveiller les soupçons.
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