Le festival de Blum

Grenat hésita une seconde, son regard croisant celui de la petite femme. Elle comprit à son air insistant qu'elle devait abandonner l'idée d'avoir une réponse...
Soupirant, elle laissa retomber ses mains et s'écarta de Diego. Du coin de l'oeil, elle chercha à lire la réaction du mérosis, mais ne s'y attarda pas.

- Je vous suis... se contenta-t-elle de dire à Kerri.

Moins expressif qu'un visage humain, celui de la drakeïde trahissait néanmoins son émoi intérieur. De nombreuses questions se bousculaient et se voir ainsi refuser des explications n'était pas à son goût.
Après tout, elle était sur les routes pour ça !

Tana fut quelque peu rassurée de constater que Diégo reprenait le contrôle. Kerri également semblait laisser de côté ses pensées les plus cupides.

Ne juge jamais trop vite, Cacahuète !

Docile, elle suivit le petit groupe à la suite du jeune homme, non sans manquer d'observer son entourage avec intérêt afin de déterminer comment les différentes personnes présentes réagissaient à toute cette histoire.

Une fois n'est pas coutume, la magicienne ne parlait pas.

Quelles que furent les réactions au prétexte avancé par Kerri, tous se rangèrent, bon gré mal gré, derrière Diégo. Laissant le rangement de la soute aux membres de l'équipage qui arrivaient après la bataille, ils se groupèrent bientôt dans la chambre du capitaine, Le Directeur.

Ici les fenêtres donnaient sur le pont, baigné dans les ténèbres de la nuit qui continuait d'avancer et la pièce était éclairée par de rares bougies posée sur une table ronde autour de laquelle chacun s'était approché, donnant au groupe une allure de conspirateurs.

- Ils réclament des explications et je ne pense pas pouvoir en donner ailleurs qu'ici....

Le Directeur observa le groupe avec attention, veillant à ne faire s'attarder son regard sur aucun d'entre eux.

- C'est la deuxième menace, dans la même soirée. J'imagine que vous avez compris que ce n'est pas un simple hasard ? comme il ne s'attendait pas à une réponse de leur part, il continua. Nous avions une mission : livrer ces spécimens pour analyse à nos agents à Blum. Ils n'auraient pas dû pouvoir se réveiller, mais il est devenu clair que quelqu'un à bord fait tout son possible pour nous mettre des bâtons dans les roues.

Cette fois, son regard s'attarda sur chacun d'entre eux. Le ton de voix de cet homme géant, profond et calme, avait quelque chose de terrifiant dans ce climat. Sans les accuser directement, il était clair qu'il n'avait pas précisé qu'ils étaient tous en dehors de tout soupçon.

- Je peux choisir de vous faire confiance pour tout ce que vous avez fait ce soir. Mais je ne vous en dirai pas plus si vous décidez de rester en dehors de toute cette affaire. Plus vous en saurez, plus vous serez en danger et je ne peux pas simplement vous détailler la situation et vous laisser repartir après. Si je vous dit ce qui nous menace, vous devez vous engager à... l'éliminer. Est-ce clair ?

Ses sourcils broussailleux observaient chacun avec une acuité perçante. Il s'arrêta finalement sur Tana, comme s'il attendait d'elle qu'elle réponde en première.

Grenat écoutait attentivement Le Directeur, prise dans ses pensées.

Menace ? Quelle menace ?
" Aah les trucs volants et les fils du feu !

Elle plissa les yeux et croisa les bras, prenant appuie sur le mur derrière elle, l'air faussement détendu.

Comment ça liées ?
Un traître ? Il se serait mit en danger aussi... un forcené suicidaire ?

Cette affaire devenait très sérieuse et il n'était pas du goût de la drakeïde d'y être ainsi impliquée. Plus vite ils démasqueraient la menace, mieux elle se porterait.

- Il s'agit donc de faire justice nous même... commença-t-elle, attirant les regards.
" Si les preuves sont sans appel et les juges impartiaux, ça me va !

Sa nonchalance la surprenait elle-même. Après tout, il s'agissait peut-être d'ôter la vie à une personne avec qui elle avait partagé le pain il y peu !

Tana se réjouissait de voir que Le Directeur reprenait la... direction des opérations. Diégo parlait à la fois trop et pas assez à son goût, un subtil équilibre qu'on ne pouvait atteindre qu'en dévoilant des secrets qu'elle connaissait déjà tout en cachant ceux qu'elle souhaitait apprendre. Le capitaine, en revanche, savait comment mettre l'ambiance. Le temps des révélations approchait seconde après seconde et Cacahuète brûlait d'impatience lorsque le grand bonhomme leur demanda de confirmer leur engagement. Il regardait vers elle.

- Voyons, Le Directeur... tu sais bien que je ne peux rien te refuser après toutes les courses gratuites que tu m'as déjà concédées ! Et tu sais bien aussi que je ne résiste jamais à l’appât quand tu me le présentes si près du nez. Balance-nous tout et je te promets de protéger Le Théatre, ses passagers et l'équipage, si j'y arrive, de ta fameuse menace.

Le ton de la gnomide était léger tandis qu'un franc sourire recouvrait son visage malicieux. Les choses sérieuses commençaient et son ami lui offrait l'aventure sur un plateau. Que pouvait-elle espérer d'autre ?

Tana dévisagea à son tour les autres voyageurs. Au vu de leur propension à se mêler des affaires qui ne les concernaient pas, il ne faisait aucun doute que plusieurs d'entre eux aspireraient à se frotter de plus près à la menace dont on n'osait pas encore prononcer le nom. Cependant, la magicienne se demandait encore quelles conditions chacun tenterait d'imposer avant de s'engager plus loin.

Miran avait suivit le groupe en dernière position se demandant si cette situation allait s'envenimer ou non. Il y avait bien un grand malaise car aucune réponse n'avaient été donné et chacun poursuivait un but propre mais il semblait voir pointer une résolution acceptable.

Une fois arrivée face au capitaine le guerrier ne fut pas impressionné par tout son baratin et son ton impérieux. Ce qui importait pour répondre c'était le but recherché et il semblait qu'une mise à mort n'était pas à exclure. Tout le monde avait l'air de se précipiter sur l'élimination de la menace avec des œillères. Il fallait remettre de l'ordre dans tout cela.

- "Pour ma part je ne vois pas d'actes malveillants. Juste un concours de circonstances. Si les méduses volantes n'avaient pas fait leur festin, réveillant le contenu des caisses nous n'en serions pas là. Alors, avant d'accuser qui que ce soit, il va falloir des preuves et pour l'instant personne ne semble capable d'attirer des cloaquants. Je ne voudrais pas être l'arme qui s'en prendra à un innocent car je suis venu aider, non tuer. Dans un second temps, si menace il y a, il serait utile de se poser car nous sommes grandement en sursis si quelqu'un ou quelque chose souhaite notre mort... et la sienne par la même occasion. Enfin, le justice sera rendue mais pas par nous"

Le ton était grave mais l'homme d'arme mettait en doute tout ce qui avait été dit. Il s'attarda d'ailleurs sur Grenat tentant de laisser paraitre une certaine confiance à son encontre car après tout ce qui s'était passé elle avait acquis trop d'alibis. Concernant les autres, ils avaient combattus avec ferveur et cela suffisait à le rassurer. Il attendait donc plus de cette entrevue pour faire un choix.

Kerri n’en croyait pas ses oreilles. Où était-elle tombée? Pour qui se prenaient ces espèces de justiciers? La petite intrigante, passe encore, elle avait l’air de tremper dans la combine, mais qu’avaient à y gagner les autres?

La jeune femme se demanda sincèrement si ce n’était pas une combine montée de toutes pièces par les protagonistes dans la pièce. Quand on avait grandit dans la jungle des bas fonds de Broarstad, ce genre d’idées venait naturellement à l’esprit.

Elle les dévisagea tour à tour et se rendit compte qu’ils étaient sincères. Elle sentait un bouillonnement monter en elle, prenant lentement la place de la surprise qui l’avait submergée quelques instants à peine. Elle posa ses deux paumes sur la table et se pencha en avant. Elle murmura:

- Vous vous moquez de nous? Vos grands airs ne trompent personne. Vous avez une dette envers nous. Et non des moindre.

Elle n’avait pas parlé fort, mais dans le silence qui suivait la déclaration de Miran, chacun de ses mots résonnait contre les murs de la pièce étriquée.

Kerri se concentra pour ne pas laisser sa colère la pousser à commettre une faute professionnelle.

- Quand on se met d’accord sur un contrat, on négocie d’abord le prix et la mission.

Elle ajouta, autant à l’adresse du directeur que de ses “compagnons” :

- Je me fiche de ces histoires d’innocents, de meurtres ou de justice. Mais je prends pas de trucs illégaux.

Elle se tourna à nouveau vers le directeur, dont le regard semblait étrangement à la fois les dévisager et les fuir.

- Et si je refuse, je refuse, pas d’histoire.

Ecoutant tout le monde répondre sans sourciller, Le Directeur accorda un hochement de tête presque affectueux vers la magicienne, avant de se retourner vers Kerri.

- En admettant que j'accepte d'avoir une dette envers vous, ce serait pour vous protéger, que je n'irai pas en dévoiler plus. Alors franchissez cette porte, que je vous ramène à bon port en toute sécurité et nous serons quittes !

Le gaillard semblait avoir changé d'attitude : un éclat de joie pétillait dans son regard.

- Quant à vous, chevalier, je ne vous demande pas de vous en prendre à un innocent. Quelle que soit la personne à bord qui a réveillé les créatures -car il y a très certainement quelqu'un- je ne vous demanderai pas de la châtier.

Il se tourna enfin vers Grenat.

-Je suis habi...

-Oh, ça suffit ! Le Directeur agit sous les ordres directs du seigneur des îles Eoliennes. Aidez-nous, je trouverai un moyen de vous récompenser !

Diégo avait agit impulsivement, ne goûtant probablement pas la scène qui était en train de se jouer. Défiant lui aussi l'autorité du seul maître à bord, il ponctua le silence qu'il venait de créer par un "Quoi ?" plein de défi.

Alors qu’elle s’apprêtait à se diriger vers la porte, Kerri interrompit son mouvement.
- Voilà un discours que je suis prête à entendre, dit-elle à l’adresse de Diégo, avec un sourire carnassier.
- Quant à vous, monsieur le Directeur, permettez-moi de douter de votre capacité à en effet nous amener à bon port. La première partie de ce voyage était plutôt… décevante.

Le sourire de Tana s'élargit jusqu'aux oreilles pointues propres à son espèce. Le dénommé Miran et Grenat, la drakéide, n'avaient visiblement pas froid aux yeux. Sans nul doute, ils ne seraient pas impressionnés par le danger et iraient au bout de cette affaire pour dénouer le vrai du faux. Quant à Kerri, il s'agissait d'un personnage fascinant et haut en couleur. La gnomide était ravie de voir que ces voyageurs participeraient à l'enquête avec elle.

- Bon! Puisque tout le monde est d'accord, je pense qu'on peut s'y mettre.

Cacahuète se tourna à nouveau vers Le Directeur et lui rendit son hochement de tête amical. Les premières véritables révélations allaient enfin pointer le bout de leur nez.

Apparemment, c'était entendu. Ils allaient enquêter et trouver qui jouait double jeu sur Le Théâtre, mettant leur vie en jeu - et la sienne.
En même temps, eux six en moins, il ne restait plus beaucoup de monde à soupçonner !

Je me demande bien ce que Le Directeur allait me dire avant d'être interrompu.

La drakéïde fronça les sourcils imperceptiblement, mais elle ne bougea pas. Elle attendait les explications.

Miran n'avait absolument pas du tout l'impression que les propos du Directeur ou de Diégo avait un quelconque intérêt. L'un promettait que tout allait bien se passer alors que comme le rappelait Kerri le début chaotique ne pouvait pas passer inaperçu et en plus avec un potentiel saboteur inconnu qui jouait mortellement avec eux c'était osé. L'autre annonçait des vérités invérifiables, et qui face à la situation, n'apportaient pas de réelles garanties. Le guerrier donc secoua la tête de dépit et pour refuser toute idéologie pécuniaire, car c'étaient des vies qui étaient en jeu.

- "Je souhaiterai savoir combien il y a de personnes sur ce vaisseau volant et à quoi servaient les êtres des boites."

Il resta prêt à entendre les réponses ou toutes informations qui permettraient de comprendre ce qu'il se passe et démarrer l'enquête.

D'un imprévu à l'autre, la situation des voyageurs qui avaient sauvé Le Théâtre changea à nouveau alors que la troupe d'acteurs décida de mettre son grain de sel dans l'opération. Certains d'entre eux avaient déjà une idée assez claire de l'objectif secret de leur voyage et ils étaient volontaires pour aider Diégo à remplacer sa précieuse cargaison perdue.

Le Théâtre sembla rebrousser chemin et changea temporairement de route, au prétexte que des réparations étaient de mise. Alors que Glatus, Jill et Topaze partaient avec Diégo dans la brume vers l'est, il fut convenu que nos héros défendraient le navire en leur absence. Arrêté non loin de la forêt, l'immense embarcation y fit l'objet de la curiosité des créatures locales. Chaque nuit, des êtres humanoïdes et végétaux semblaient décidés à emporter dans l'obscurité de la forêt les voyageurs de la boursoufleuse. Mais une organisation militaire efficace et le courage de quelques héros en devenir suffit à repousser chaque attaque.

Trois jours plus tard, le quator qui avait disparu revint. Tous avaient l'air épuisé, comme s'ils avaient livré d'âpres combats, mais aucun ne fit le récit de ce qu'ils venaient de traverser ni ne voulut détailler le contenu des lourds sacs qu'ils avaient rapportés. Diégo, qui semblait respirer plus lourdement désormais, il affichait un air plus serein qu'auparavant.

On exigea pourtant des explications et pendant le reste de la traversée, voici ce que découvrirent les aventuriers au goutte à goutte, entre demi vérités et les récits exagérés des uns et des autres :

Diégo avait trahi le groupe de chercheurs occultes avec qui il était chargé de mettre au point une arme instable : des petits être artificiels (ou golems) de feu capables de détruire un village s'ils étaient mis entre de mauvaises mains. Officiellement, Diégo avait été chargé par son organisation de tester leur arme au festival de Blum. Dégoûté par les méthodes de ses collaborateurs, il avait demandé de l'aide et Le Directeur, qui semblait sous les ordres des autorités des îles éoliennes, était intervenu avec sa troupe.
L'attaque des cloaquants avait réveillé les golems et en perdant ces derniers, Diégo avait du même coup perdu la preuve de ce qu'avait mis au point son organisation -preuve qui permettait son doute de se racheter auprès des autorités et permettrait d'acheter sa liberté.

Avec l'aide de Glatus, Jill et Topaze, ils avaient vraisemblablement réussi à pénétrer dans un laboratoire des confrères de Diégo et détruit la plupart des recherches effectuées. Le fait qu'ils soient revenus lourdement chargé laissait à penser qu'ils avaient néanmoins pris soin de conserver des échantillons des spécimens créés par Diégo.

Puis vint le moment des adieux, coïncidant avec l'arrivée aux îles éoliennes ! Le festival battant son plein, chacun put y faire l'expérience d'une fête placée sous le signe de l'art et de l'inventivité gnome. Si quelques accidents mineurs furent à déplorer, aucun golem ne vint exploser au milieu de la fête. De là et après un bon repos, les aventuriers malgré eux pourraient sans difficulté se mettre en route vers une destination nouvelle.

Kerri posa ses avant-bras sur le bastinguage, les yeux perdus sur l’océan floconneux qui s'étendait à perte de vue. Les nuages reflétaient le soleil de midi, dans un spectacle enchanteur qu’elle ne remarquait pas.

-Tout ça pour ça, soupira-t-elle.

Les mêmes gestes, les mêmes paroles, les mêmes silences se rejouaient sans cesse dans sa tête, comme si elle pouvait encore en changer l'issue. Elle soupesait chaque mot prononcé cette nuit-là, la deuxième nuit du festival, dans la chambre de l'auberge dans laquelle elle n’arrivait pas à trouver le sommeil.

Elle se rappelait détailler patiemment le plafond, la tête sur l'oreiller, en espérant maîtriser ses émotions. Il lui semblait avoir aperçu Umbero dans l’après-midi. Elle n’avait pas vu son visage, mais elle aurait mis sa main à couper que c’était lui : plus loin dans la foule, quelqu’un était en train d’espionner sa cible. Elle n’avait pas eu le temps se placer correctement que l’ombre avait disparu dans la foule, mais cette façon de porter la main à son chapeau, et de l’incliner légèrement en avant… Un nœud se formait dans sa gorge, et Kerri se demandait si ses sentiments ne lui jouaient pas des tours et ne faussaient pas son jugement.

Quelque glissement dans la nuit mit ses sens en alerte. Pas assez pour être un bruissement, mais trop pour être un hasard. Sa dague provoquante vint s’appuyer dans le dos de l’homme qui avait voulu s’introduire sournoisement.

- Un geste et tu es mort.
- En voilà un accueil, après si longtemps.

Cette voix… Profitant du trouble de Kerri, l’homme fit une pirouette, et se dégagea sans effort.

- Tu penses trop quand il faut agir, et pas assez quand il faut réfléchir. En échange, je dois reconnaître que tu as réussi à me surprendre. Tu as donc fini par apprendre quelque chose, petite.

Umbero lui faisait face, et lui adressait un de ces sourires énigmatiques dont il avait le secret. D’un geste gracieux, Kerri rangea sa dague et attendit que son mentor ordonne, ainsi qu’elle avait l’habitude de le faire. Elle fixait le sol à mi-distance d’Umbero, et sa pose soumise servait à dissimuler tant bien que mal sa colère.

Son mentor s’approcha et posa affectueusement la main sur son épaule tendue. Elle releva le visage et son regard rencontra les deux yeux bleus familiers, aux coins desquels se dessinaient de légères ridules moqueuses. Il brisa le silence oppressant qui s’était emparé de la pièce étriquée.

- Je suis désolé, Mouse, j’ai dû fuir Broarstad en urgence.

La jeune femme n’en croyait pas ses oreilles. La colère cédait doucement place à l’incompréhension. Il dut voir ce changement, car il continua :

- Ma tête a été mise à prix par la pègre. J’ai dû contrarier trop de gens, car c’est un bon prix. Le comble, pour un chasseur de prime, non ?

Et sa propre plaisanterie sembla l’amuser. Il enchaîna d’un ton léger :

- J’imagine que c’est le Vieux qui t’envoie ? A ton avis, pourquoi t’a-t-il envoyé ici ? Tu n’as pas vraiment la carrure par rapport l’imbécile qui se promène au festival que je t’ai vu filer cette après-midi. Tu ne tiendrais pas 5 minutes.

Le jugement objectif ne blessa pas Kerri, qui se concentra sur où son mentor voulait l’amener. Les choses s’éclaircirent soudain.

- Le Vieux veut des infos sur vous. Il sait pour la prime. Il sait que vous ne vous méfierez pas de moi.

Umbero sourit.

- Tu vois, quand tu penses avec ta tête au lieu d’avec tes tripes, c’est beaucoup mieux.

Le rouge lui monta aux joues, et légèrement honteuse, Kerri essaya de changer de sujet.

- Vous pourriez regretter de m’avoir dit ça. Je pourrais bien lui dire ce que je sais, et partager la prime.
- Eh bien, disons que je ne me méfie pas vraiment de toi.

Il porta la main à son chapeau, et d’un geste du pouce, l’inclina légèrement en avant. Quelque chose dans sa voix sonnait comme un haussement d’épaules.

- Je me suis dit que ça serait plus simple si tu savais. Adieu, Mouse.

Kerri ressassait encore ces dernières paroles qui pouvaient aussi bien être une injure qu’un aveu de faiblesse, quand l’aéronef fit une embardée qui l’arracha brièvement à ses rêveries. Elle se rattrapa sans difficulté à un cordage et se demanda où elle irait ensuite. Elle ne pouvait pas suivre Umbero - elle ne ferait que le gêner - et ne voulait pas retourner chez le Vieux.

Tana la rejoignit d’un pas léger. La gnomide aimait se balader sur le pont, peut importe les soubresauts ou les vents capricieux.

- Tu disais quelque chose ?
- Non.

Kerri se demandait si Tana l’avait vu essuyer précipitamment les larmes qui roulaient silencieusement sur ses joues, mais quoi qu’il en soit, la magicienne avait eu la présence d’esprit de se taire, pour une fois.

Les bruits de carlingue et des moteurs s'intensifiant, Tana se réveilla emmitouflée sous un château de couvertures bariolées. Une fois encore, elle s'était endormie dans l'heure qui avait suivi l'attribution de sa cabine. Elle avait complètement manqué l'arrivée des autres passagers et les derniers préparatifs du départ. Cependant, elle connaissait la plupart d'entre eux et voyageait avec de nouveaux amis. La gnomide sauta sur ses pieds et s'étira longuement. A sa droite, Tikki la dévisageait d'un air entendu.

- Je sais bien que tu a hâte de te dégourdir les ailes maintenant que l’aéronef est parti. Moi aussi, ne t'en fais pas ! Laisse moi juste finir ma toilette !

La gnomide se lava les cheveux et entreprit de les faire sécher. En attendant, elle sorti son grimoire et relu les nouveaux exercices que son maître lui avait transmit dans les îles éoliennes. Le Capitaine avait parlé en sa faveur et elle était montée en grade. Certaines des techniques encryptées sur les divers parchemins étaient classées secrètes par l'Organisation. Elle consacra à son entraînement mental une heure de plus que d'habitude, elle avait tout son temps. Ulcéré, son familier fini par l'interrompre d'un message télépathique éloquent.

- C'est moi que tu traites de Choucas ? Tu exagères ! C'est bon, je range.

Comme de coutume, elle ferma sa cabine à double tour et sorti sur le pont. Après un rapide coup d’œil, elle repéra Kerri perdue dans ses pensées. Tana leva légèrement le bras, esquisse de mouvement devenue automatique et signifiant à Tikki qu'elle pouvait se défouler comme bon lui semble dans les courants chaotiques entourant l’aéronef. La magicienne ne s'approcha pas directement de la jeune femme. Les deux compagnes de route avaient appris à respecter leurs secrets respectifs avec une sorte de pudeur particulière.

Au bout de quelques instants, Tana la rejoignit d'un pas léger.

- Tu disais quelque-chose ?
- Non.

La gnomide devait être anormalement gênée, car le silence qui s'ensuivit dura un temps record de trois secondes. Après quoi, elle se reprit et discuta longuement des différentes variantes de cumulus que traversait le vaisseau volant. Kerri ne l'en empêcha pas.

L'arrivée aux îles éoliennes fut autant une source de réconfort que d'inquiétude pour Miran. Tout s'était mélangé, laissant un yoyo émotionnel désagréable. D'un côté, il y avait la certitude d'un repos bien mérité après une garde féroce du navire volant auprès de ses compagnons d'infortune. Il avait particulièrement apprécié les tactiques magiques de Grenat. Et de l'autre, le vide quant à la suite de sa vie.

Il avait choisit de fuir l'ancien continent suite à la douleur des souvenirs qu'il avait subit, mais maintenant qu'il était loin, il se rendait compte que sans but il y avait un grand vide. Même si cela partait mal, sa précédente aventure lui avait permis de protéger la veuve et l'orphelin mais dans tout cela, le guerrier n'avait été que dépassé par les évènements. Ce goût amère restait bien présent.

Il se comporta donc en touriste grâce à une chambre "prêtée" de part son aide pour la sauvegarde du festival de Blum par un contact du Directeur. Il pouvait en convenir jusqu'à la fin des festivités et apprendre les us et coutumes locales. Il erra donc dans ce lieux plein de charme et de nouvelles sonorités.