Kerri "Mouse" Ashdown
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Kerri posa ses avant-bras sur le bastinguage, les yeux perdus sur l’océan floconneux qui s'étendait à perte de vue. Les nuages reflétaient le soleil de midi, dans un spectacle enchanteur qu’elle ne remarquait pas.
-Tout ça pour ça, soupira-t-elle.
Les mêmes gestes, les mêmes paroles, les mêmes silences se rejouaient sans cesse dans sa tête, comme si elle pouvait encore en changer l'issue. Elle soupesait chaque mot prononcé cette nuit-là, la deuxième nuit du festival, dans la chambre de l'auberge dans laquelle elle n’arrivait pas à trouver le sommeil.
Elle se rappelait détailler patiemment le plafond, la tête sur l'oreiller, en espérant maîtriser ses émotions. Il lui semblait avoir aperçu Umbero dans l’après-midi. Elle n’avait pas vu son visage, mais elle aurait mis sa main à couper que c’était lui : plus loin dans la foule, quelqu’un était en train d’espionner sa cible. Elle n’avait pas eu le temps se placer correctement que l’ombre avait disparu dans la foule, mais cette façon de porter la main à son chapeau, et de l’incliner légèrement en avant… Un nœud se formait dans sa gorge, et Kerri se demandait si ses sentiments ne lui jouaient pas des tours et ne faussaient pas son jugement.
Quelque glissement dans la nuit mit ses sens en alerte. Pas assez pour être un bruissement, mais trop pour être un hasard. Sa dague provoquante vint s’appuyer dans le dos de l’homme qui avait voulu s’introduire sournoisement.
- Un geste et tu es mort.
- En voilà un accueil, après si longtemps.
Cette voix… Profitant du trouble de Kerri, l’homme fit une pirouette, et se dégagea sans effort.
- Tu penses trop quand il faut agir, et pas assez quand il faut réfléchir. En échange, je dois reconnaître que tu as réussi à me surprendre. Tu as donc fini par apprendre quelque chose, petite.
Umbero lui faisait face, et lui adressait un de ces sourires énigmatiques dont il avait le secret. D’un geste gracieux, Kerri rangea sa dague et attendit que son mentor ordonne, ainsi qu’elle avait l’habitude de le faire. Elle fixait le sol à mi-distance d’Umbero, et sa pose soumise servait à dissimuler tant bien que mal sa colère.
Son mentor s’approcha et posa affectueusement la main sur son épaule tendue. Elle releva le visage et son regard rencontra les deux yeux bleus familiers, aux coins desquels se dessinaient de légères ridules moqueuses. Il brisa le silence oppressant qui s’était emparé de la pièce étriquée.
- Je suis désolé, Mouse, j’ai dû fuir Broarstad en urgence.
La jeune femme n’en croyait pas ses oreilles. La colère cédait doucement place à l’incompréhension. Il dut voir ce changement, car il continua :
- Ma tête a été mise à prix par la pègre. J’ai dû contrarier trop de gens, car c’est un bon prix. Le comble, pour un chasseur de prime, non ?
Et sa propre plaisanterie sembla l’amuser. Il enchaîna d’un ton léger :
- J’imagine que c’est le Vieux qui t’envoie ? A ton avis, pourquoi t’a-t-il envoyé ici ? Tu n’as pas vraiment la carrure par rapport l’imbécile qui se promène au festival que je t’ai vu filer cette après-midi. Tu ne tiendrais pas 5 minutes.
Le jugement objectif ne blessa pas Kerri, qui se concentra sur où son mentor voulait l’amener. Les choses s’éclaircirent soudain.
- Le Vieux veut des infos sur vous. Il sait pour la prime. Il sait que vous ne vous méfierez pas de moi.
Umbero sourit.
- Tu vois, quand tu penses avec ta tête au lieu d’avec tes tripes, c’est beaucoup mieux.
Le rouge lui monta aux joues, et légèrement honteuse, Kerri essaya de changer de sujet.
- Vous pourriez regretter de m’avoir dit ça. Je pourrais bien lui dire ce que je sais, et partager la prime.
- Eh bien, disons que je ne me méfie pas vraiment de toi.
Il porta la main à son chapeau, et d’un geste du pouce, l’inclina légèrement en avant. Quelque chose dans sa voix sonnait comme un haussement d’épaules.
- Je me suis dit que ça serait plus simple si tu savais. Adieu, Mouse.
Kerri ressassait encore ces dernières paroles qui pouvaient aussi bien être une injure qu’un aveu de faiblesse, quand l’aéronef fit une embardée qui l’arracha brièvement à ses rêveries. Elle se rattrapa sans difficulté à un cordage et se demanda où elle irait ensuite. Elle ne pouvait pas suivre Umbero - elle ne ferait que le gêner - et ne voulait pas retourner chez le Vieux.
Tana la rejoignit d’un pas léger. La gnomide aimait se balader sur le pont, peut importe les soubresauts ou les vents capricieux.
- Tu disais quelque chose ?
- Non.
Kerri se demandait si Tana l’avait vu essuyer précipitamment les larmes qui roulaient silencieusement sur ses joues, mais quoi qu’il en soit, la magicienne avait eu la présence d’esprit de se taire, pour une fois.
Edition
14/02/2022
21h34 par
Lorelei
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