Elindine d'Enumasam

 
Elindine
Elindine

Différentes scénettes pour le personnage d'Elindine d'Enumasam

SOMMAIRE dans l'ordre chronologique
01 - Le mariage
02 - La découverte du secret de Nedru
03 - Avant de partir en Acoatl

12/11/2020 14h08
Elindine
Elindine

1 - Le mariage

Réplique de Nedru d'Enumasam écrite par Nedru

non-canonique


Seule dans sa chambre, elle avisait son reflet d’un œil critique. Le miroir lui renvoyait l’image même de l’élégance bourgeoise. Cheveux relevés avec soin sur sa nuque blanche, lèvres épaissis d’un trait de rouge, regard ourlé de pourpre et de mauve, la domestique avait même réussi à presque effacer les taches de rousseur de son visage et de son décolleté après des heures de vains efforts. Elle tenta un sourire, puis grimaça, à l’étroit dans son corset et son veston. La robe était magnifique, certes, mais lourde, étroite et inconfortable. Les soieries étaient aussi douces au touché que les velours et les brocards d’or avait la souplesse des lierres qu’ils représentaient, mais le luxe de sa tenue ne parvenait guère à la réjouir. Elle n’arrivait toujours pas à voir le bon côté de ce mariage qu’elle ne désirait pas, avec un homme qu’elle ne connaissait toujours pas assez, malgré les entrevues et la bienveillance toute relative de leurs deux familles. Alors, elle cherchait à se réconforter comme elle pouvait : 26 ans de vie de jeune fille, pour une dame de la haute société, dans la Cité Franche, c’était pas mal et avec un peu de chance son mari lui laisserait plus de largesse que ses parents. Elle s’en était toujours sortie jusque-là, ce n'était pas un petit antiquaire de rien du tout qui allait l’empêcher de vivre sa vie. Certes, mais l’incertitude de sa nouvelle situation marquait son visage d’angoisse. Elle entendit toquer à la porte qui s’ouvrit à son las « Entrez » sur le visage inquiet de sa sœur aînée, Aryn :

« Tu es prête ? J’apporte les fleurs pour tes cheveux. »

Elindine gracia la nouvelle-venue d’un sourire en la laissant venir dans son dos. Dans ses bras, elle portait une grande brassée d’asphodèles blanches et d’ancolies jaunes. Délicatement, elle glissa les tiges entre les mèches rousses du chignon de la future mariée, apaisant un peu la tension dans ses épaules par la douceur tendre de ses gestes. Parmi tous les membres de sa famille, Aryn était la seule qu’elle estimait et aimait sincèrement : au-delà de leur lien de sang, c’était une âme généreuse et enthousiaste, que les récits et les frasques de sa cadette avaient toujours amusé. Chacune à leurs manières, elles se respectaient affectueusement et avaient passé leur enfance et leur adolescence à veiller l’une sur l’autre dans la fosse à serpents que pouvaient constituer la haute société, et aujourd’hui, Elindine devait épouser l’un d’eux.

« Tu es magnifique, Elin.
- C’est gentil, mais je crains que le rôle de mariée ne m’aille moins bien qu’à toi.
- Ne dis pas de bêtises, tu n’as jamais été aussi belle et je suis sûre que tout le monde le pensera.
- Ce n’est pas ce qui m’inquiète. »

L’ainée tira un tabouret et, lissant ses jupons, s’assit avec grâce à ses côtés.

« L’inquiétude n’est pas vraiment le genre de sentiment qu’éprouve souvent Elindine de Gallantera. Tu veux parler ? »

Un petit sourire tordu traversa le visage poudré de la future mariée.

« Il faut croire qu’Elindine d’Enumasam n’a pas le même tempérament.
- Je n’en crois pas un mot et ton fiancé a l’air d’être quelqu’un de tout à fait convenable ; il s’est toujours montré courtois et agréable avec toi. »

La rousse retint un froncement de nez et les arguments contraires qui lui venaient en tête. Quelques années auparavant, Aryn avait épousé en grande pompe un noble qui n’avait pas le gout d’être assez vieux pour mourir bientôt et plus suffisamment jeune, ni beau, pour être digne de la fraiche trentaine de sa magnifique femme. Dans ces circonstances, il était compréhensible que Nedru paraisse à sa sœur un choix « convenable ».

« Elin, je ne veux pas te brusquer, mais…
- C’est l’heure, oui, allons-y. »


Avant même d’entrer dans le temple, la musique et les sorts des bardes accompagnèrent le cortège des deux familles, éblouissant de couleurs et de chansons la foule variée de la bonne société. Elfe, nain, gnome, l’assemblée était aussi diverse que richement parée de sorts et d’atours superbes. Tout semblait beau et la Cité Franche entière rayonnait d’un éclat neuf sous un doux soleil de printemps. Une alégresse fébrile que la mariée ne ressentait pas.

A proximité du temple l’agitation s’atténua progressivement jusqu’à ce que règne une atmosphère presque tranquille, quand tous les proches furent installées sous les arches et les hautes voutes. La coutume voulait que les mariés entrent en dernier, en même temps, mais chacun de leurs côtés. Aryn laissa donc sa sœur face à une porte de bois sombre, la gratifiant d’un sourire confiant avant de disparaître à son tour entre les colonnes du splendide monument. Seule, prisonnière de son corset de velours verts et de ses jupons de soie, elle savoura ce bref moment d’isolation, avant que la porte en face d’elle ne s’ouvre.

Elle se redressa et, lentement, avança dans l’antre de son futur, le dos droit le menton haut, mobilisant tout son être pour faire honneur, si ce n’est à sa famille, au moins à elle. Quitte à subir ce mariage dont elle ne voulait pas, autant le faire avec plus de grâce et de noblesse qu’elle n’en avait jamais eu. Progressant dans le même axe, elle pouvait voir son fiancé avancer vers elle, les mains dans le dos, ses bottes hautes gainant ses mollets dans une démarche ample et vive. Ils s’arrêtèrent l’un en face de l’autre, entre leurs proches réunis, debout, en silence et un vieux prêtre au visage solennel. Quand l’homme joignit les mains des époux pour commencer à énoncer des textes sacrés, un rayon de soleil illumina le geste d’union et les deux silhouettes des jeunes gens.

Tout en chantant les vers, accompagné de la musique des bardes et rejoint parfois par la voix des mariés récitant leurs vœux, il noua un ruban soyeux. Ce dernier, décoré d’un grelot d’argent, liait leurs noms, leurs familles et leurs destins, sous le regard des dieux. Tout au long de la cérémonie, les yeux d’Elindine ne lâchèrent pas ceux de l’homme en face d’elle, s’y accrochant comme pour ignorer le monde autour d’eux. Nedru d’Enumasam n’était pas un inconnu, loin de là. Elle l’avait rencontré de nombreuse fois à des réunions de familles, des dîners mondains, des fêtes, des mariages et tant d’autres évènements plus ou moins festifs. Fêtes de printemps et d’automne, solstices, discussion d’affaire, ce visage fin encadré de courts cheveux bruns, elle avait pu le voir évoluer du garçon à l’homme, de même cette voix douce de lettré, habitué à poser les phrases, à articuler ses mots, elle l’avait entendu de nombreuse fois et plus souvent encore pendant les préparatifs du mariage. Elle le connaissait, mais jamais elle ne l’avait vu ainsi. C’était sans doute la magie du lieu et des atours que les familles comme les leurs aimaient à dresser en telles occasions, mais pour la première fois elle devait reconnaître à cet homme de la beauté et, surtout, une grâce indéniable. Sa taille fine cintré dans une longue veste sombre, brodée d’argent, mêlait le bleu de la nuit et le gris d’une fourrure de loup, sur la charpente d’épaules étroites, mais fière. Le col blanc remontait sur le cou délicat qui soutenait un visage agréable que ne déparait pas un sourire qui l’était tout autant. Ses lèvres s’étiraient et ses yeux se plissaient en une expression de joie légitime en ces circonstances, mais qu’elle-même peinait à afficher. Elle n’était plus une enfant depuis longtemps, mais en cet instant elle se sentait désemparée et une forme de nausée chatouillait sa gorge. Elle ne sut pas s’il le remarqua, elle essayait pourtant de masquer son trouble, mais elle sentit les doigts longs, doux et fins se refermaient un peu plus étroitement sur les siens en une prise fraîche et presque… Rassurante.

Le prêtre et l’assemblée se turent alors qu’ils échangeaient leurs anneaux, retenant les cris et les chants pour le moment ou les mariés joignirent leurs mains et leurs lèvres pour leur premier baiser. Soudainement, Elindine se rendit compte que sa nausée s’était évanouie. Elle se sentait presque bien quand ils sortirent ensemble, leurs mains encore attachées blotties l’une contre l’autre. Les deux cortèges s’unirent derrière les mariés jusqu’au domaine de la familles Enumasam où un grand banquet les attendaient déjà dans le parc somptueux de l’immense demeure. Le temps que tous les invités se réunissent sur les vastes pelouses, les bardes s’étaient déjà installés sur l’estrade préparée pour eux et Elindine se sentait enfin gagnée par l’atmosphère festive. La musique et l’humeur agréable de son compagnon aidait surement à la détendre et ce fut avec une joie un enthousiasme sincère qu’elle ouvrit le bal à ses côtés. La jeune femme était une danseuse accomplie et elle redécouvrit avec plaisir que son compagnon l’était tout autant, même entravé par le nœud enchanté qui entourait leurs poignets. Ce dernier ne se déferaient pas tout de suite et il était très mal vu de le briser ou de le découper avant qu’il ne tombe de lui-même. Il était dit que le sort qui imprégnait la soie reflétait la force du lien qui unissait les jeunes mariés. Le ruban avait cependant le bon gout de se défaire généralement avant le dîner, laissant les mains libres pour profiter du service. Ce ne fut pas le cas de celui de Nedru et Elindine, ce qui engendra un nombre considérable de remarques et de plaisanteries que l’homme accueillait avec bien plus de patience que sa femme. L’irritation commençait à troubler ses traits, quand elle sentit son partenaire se lever en s’excusant auprès de son père, avant de l’entrainer avec lui un peu plus loin. Entre l’étonnement et l’agacement croissant, le ton cassant de sa voix la surprit elle-même quand elle demanda :

« Qu’est-ce que tu fais ?
- Je te laisse reprendre ton souffle. Tout va bien ? »

Le regard sincèrement inquiet du jeune homme la prit au dépourvu. Instantanément, elle se détendit et son ton avait retrouvé sa douceur affectée quand elle répondit avec un sourire :

« Oui, je vais bien.
- Hm. Tu caches de moins en moins bien que ces gens t’irritent, cela commence à se voir, railla-t-il en réponse. »

Il releva leurs poignets enrubannés avec un sourire moqueur qu’elle trouva immédiatement désagréable. Elle étouffa une réplique dans un sifflement cinglant, accentuant l’expression espiègle de son mari qui coupa sa réponse en s’asseyant sur le banc derrière eux, l’invitant à en fait de même.

« Prend ton temps. » souffla-t-il

Elle hésita, puis s’installa à ses côtés, laissant quelques longues secondes de silence s’écouler. A nouveau, elle sentit la pression étrangement réconfortante des doigts du jeune homme contre les siens. Ses yeux fixés devant elle se tournèrent finalement pour rencontre ceux de son époux qui la considéraient avec tranquillité. Pour la première fois de la soirée, elle se permit de clore ses paupières et même de desserrer très légèrement son corset pour prendre une grande goulée d’air frais. Elle n’entendit aucun rire, mais elle sentit une forme de satisfaction passer sur le fin visage blanc en face d’elle. Elle rouvrit les yeux et le dévisagea sans honte, détaillant sa physionomie d’un regard critique. Il ne sembla pas s’en émouvoir, à la place il lui tendit son poignet :

« Il y a un couteau dans ma manche, tu peux l’en sortir ? »

Un haussement de sourcil surpris traversa son visage, alors qu’elle sortait une lame de table de son manteau, sans lui rendre pour autant.

« Qu’est-ce que tu comptes en faire ?
- Découper le ruban.
- Alors non, nous sommes supposés le présenter intact à nos familles et je n’ai pas envie de supporter d’autres remarques à propos de ça.
- Je ne pense pas que ça annulera le mariage. Si ma famille est un peu déçue, tant pis. La tienne n'osera pas me faire de remarques trop désobligeantes. Et tu pourras supporter leur ire depuis notre nouveau domicile. Et chacun y regagne sa main pour la soirée.
- Je crains plus de passer une mauvaise soirée le jour de mon mariage que leur colère. »

Son ton manifestait toujours une certaine contrariété, mais son visage témoignait de sa réflexion. Finalement elle lui sourit et sans lui rendre l’ustensile, elle dégagea une épingle à cheveux de ses mèches.

« Aide-moi de ta main libre, je m’occupe de défaire le nœud. »

Maniant habilement la lame et l’épingle, elle s’appliqua à les défaire de cette encombrante étreinte en abîmant le moins possible le ruban. Le silence s’installa entre eux, à peine troublé par les commandes polies d’Elindine qui, privée d’une se ses mains, requérait l’aide de Nedru pour ses travaux de couteau et d’aiguille. Lassée du calme, elle finit par lui dire, sans lever les yeux du ruban :

« Je ne pensais pas que tu t’étais levé pour nous libérer avec un couteau de table volé sur la nappe des mariés. C’est inattendu, mais agréable. »

Un sourire étira ses lèvres alors qu’elle levait brièvement les yeux pour le partager avec le jeune homme, qui lui répondit :

« Si ton travail de couture se fait remarquer, tu pourras dire que c’est ma faute.
- Oh ? Tu sais coudre ? Plaisanta-t-elle, sans quitter son sourire. Ma famille me considérera complice néanmoins, mais ça va aller. Voilà. »

Le ruban glissa souplement de leurs membres.

« Aide-moi à le rattacher à mon poignet pour en faire un bracelet. Nous allons faire un nœud au niveau des marques, comme ça, ni vu, ni connu, la mariée aura juste voulu garder un souvenir heureux de son mariage. Je doute que même mon père ne s’amuse à vérifier. En plus il est assorti à ma robe ! » s’exclama-t-elle dans un rire, tendant la soie dorée de leur ancienne entrave devant le brocart de son corset.

Son époux frotta ses poignets puis l’aida à nouer le ruban autour de son bras. Elle inspecta leur œuvre un instant avant de se lever. Il lui tendit sa main désormais libre et elle la saisit sans se faire prier, soulevant ses jupons pour suivre les grandes enjambées du jeune homme qui les ramenait ensemble jusqu’au banquet. Arrivé devant l’attablé, le marié attira l’attention des convives en levant leurs mains, s’exclamant :

« Le ruban est tombé, nous pouvons désormais savourer ce festin et notre union nouvelle ! »

Un tonnerre d’applaudissement salua l’annonce du jeune homme et le baiser enthousiaste qu’offrit la mariée à son époux, le visage rougi d’une feinte excitation. Elindine se précipita vers Aryn pour lui présenter le fameux lien autour de son poignet. Les sœurs s’enlacèrent, suivie par leur mère qui embrassa chaleureusement sa fille sur les deux joues avant de la ramener vers son époux. La rousse s’inclina doucement en s’asseyant à ses côtés dans une grâce timide qui contrastait curieusement avec l’espièglerie mutine qui brillait dans ses yeux, quand elle glissa à son oreille un discret « Merci. ».

La soirée fila, joyeuse et loin d’être aussi ennuyeuse que ce à quoi elle s’était attendue. Parmi tant de choses, son époux était réputé être le grand fauteur de trouble des réunions mondaines. Au grand soulagement de leurs parents respectifs, il se comporta comme le parfait jeune marié, poli, affable, tendre avec sa promise, toujours élégant. Il facilita grandement le même jeu de sa part ; le rôle d’une jolie jeune mariée un brin excitée par le vin et le bonheur du « plus beau jour de sa vie », affectueuse et pleine de respect pour sa famille, la nouvelle comme l’ancienne. Elindine aurait cru que le personnage aurait été plus dur à incarner, mais les convives se montraient agréables et plutôt bienveillante, en apparence du moins. Elle eut même l’immense satisfaction de voir le plus arrogant de ses cousins arrosé de vin par un serviteur maladroit. Elle supporta, avec un sourire doux, les plaisanteries bonhommes de son père sur le ruban qui avait tenu « si longtemps » à leurs poignets et sa joie soulagée. Les affaires de sa famille allaient mal et le mariage aurait pu ne pas se faire. Les Enumasam étaient plus que jamais au sommet de leur art, tandis que l’ancienne grâce des Gallantera semblait irrémédiablement entaché par des affaires dont ses parents l’avaient préservé, notamment en pressant ce mariage. Une cérémonie sensée les avantager autant, si ce n’est plus, qu’elle.

Peu après la fin du festin, la mère de son mari, Flamme d’Enumasam, s’approcha d’elle pour la prendre délicatement dans ses bras, préservant avec soin les précieux et fragiles ornements dont elles étaient chacune parée. C’était une femme encore belle dans sa cinquantaine bien tassée, elle avait le maintien droit et élégant, encore accentué par sa tenue, plutôt discrète compte tenu de l’occasion, mais d’un infini raffinement.

« Vous êtes... ravissante ! s’exclama-t-elle. Comment se passe cette belle soirée pour la mariée ?
- Parfaitement bien ! répondit sa belle-fille avec un sourire radieux. J'étais très nerveuse mais tout se passe à merveille. Je peux faire quelque chose pour vous, peut-être ?
- Oh non, non, je venais juste voir ma bru... J'espère que mon fils ne vous a pas causé de soucis ? »

Elindine affecta un léger rougissement et une posture un peu plus réservée :

« Nedru est... Beaucoup plus attentionné que ce que j'aurais cru. Et puis ce mariage est inespéré pour ma famille, c'est plutôt à moi de vous demander si je ne vous cause pas de souci. Je suis certaine qu'un homme comme votre fils aurait pu épouser l'aînée des familles les plus prestigieuses du continent, de la noblesse, même. »

Flamme rit légèrement avant de lui répondre, joviale :

« Voyons, ne dites pas n'importe quoi ! Nous ne sommes rien pour la noblesse ! Et Nedru n'est pas... Enfin, vous verrez bien.
- Il n’est pas ? demanda la jeune femme en plissant légèrement les yeux.
- Il n'est pas très... carriériste ! fut la réponse de la mère du jeune homme, pinçant ses lèvres fines en un sourire amusé.
- Oh ! Si ce n'est que ça, je crois pouvoir vous assister. Je n'ai pas encore l'expérience de mon père, mais je ferai en sorte d'être digne du nom que vous m'offrez.
- Ne le prenez pas comme ça ! Nous avons encore de longs jours devant nous ahaha ! Volez de vos propres ailes ! »

Le sourire d’Elindine s’élargit un peu plus naturellement sur son visage. La mère de son époux semblait bien moins retorse que son fils. Elle laissa quelques secondes s’écouler avant de reprendre sur un ton légèrement embarassée :

« Est-ce que… Est-ce qu'il y aurait autre chose que je devrais savoir à propos de Nedru ? Nous nous sommes souvent croisés, mais je me rends compte que je ne sais rien de lui. J'aimerais pouvoir rendre notre mariage agréable, pour votre fils comme pour moi.
- Bien sûr, bien sûr ! Hum... C'est un enfant. Je veux dire c'est quelqu'un qui aime être indépendant ? Il a parfois un peu de mal à se montrer affectueux... »

La rousse laissa un air pensif détendre ses traits. Ce n’était pas très informatif, mais trouvait-elle. C’était comme si personne, même pas ses parents, ne connaissaient réellement le caractère de l’homme qu’elle avait épousé. Ce n’était pas rassurant, mais elle trouva la force de sourire à sa belle-mère avant de la saluer poliment :

« D'accord. Je vous remercie. Si vous m’excusez, je vais rejoindre ma famille pour passer encore un peu de temps avec eux avant de leur dire au revoir. »

Elle inclina la tête avant de s’éloigner retrouver Aryn ou, éventuellement, sa propre mère. La soirée se prolongea jusque tard dans la nuit claire d’un doux printemps. Doucement les invités quittèrent les lieux, un à un, en petits groupes. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la famille proche pour les accompagner jusqu’à l’attelage qui devait amener le jeune couple dans son nouveau foyer. Aryn avait les yeux brillant d’inquiétude, dans les bras de leur petit frère, sa mère pleurait ouvertement, seul son père avait du mal à masquer le soulagement de voir ce contrat enfin signé. Il s’avança vers Nedru, droit, à ses côtés. Face au patriarche des Gallantera, son époux semblait presque frêle, féminin, devant la carrure anguleuse du cinquantenaire vieillissant :

« Prenez soin de ma petite fille, jeune Enumasam. Je prie pour qu’elle vous rende aussi fier que son père. »

Dans son épaisse barbe soigneusement taillée, elle perçut une forme d’approbation quand il la regarda, avant de la prendre dans ses bras. Un à un, elle salua chaque membre de sa famille. Leurs élans affectueux agitaient en elle une pointe d’agacement et un soupçon de regret qu’elle subit avec le même sourire un peu fatigué. Son expression ne changea qu’une fois enfin seule avec son époux. Ils se tenaient aussi loin que possible l’un de l’autre, chacun sur sa banquette, regardant pensivement par sa fenêtre. Si la demeure familiale des Enumasam se trouvaient dans la périphérie de la ville, leur fils vivait au-dessus de sa boutique d’Antiquité, au cœur de la cité. Elindine en connaissait la belle façade à colombages du bâtiment et sa vitrine, mais jamais elle n’y avait mis les pieds.

Elle se détourna de l’extérieur pour contempler la silhouette du jeune homme, doucement soulignée par quelques lueurs dans la pénombre. Il ne flamboyait plus de l’aura qu’il avait à l’autel et la fête avait quelque peu défraichi l’éclat de sa tenue, mais son air pensif sous les lumières nocturne offrait à son visage une beauté naturelle et douce, comme révélatrice. Dans un soupir soulagé, Elindine défit entièrement son corset et retira son veston. Dans le calme de la nuit, elle sentit une sorte de tension quittait ses épaules, remplacée par une angoisse sourde. Sa famille ruinée, elle se savait à la merci de cet homme qu’elle ne connaissait que trop peu. Doucement, elle se décala en face de son époux, à la recherche de son regard, une hésitation dans le sien. Elle chercha ses mots un instant, consciente de la naïveté de la question qu’elle voulait poser :

« Sincèrement, que penses-tu de ce mariage ? Notre… Mariage. »

Elle savait qu’il ne lui répondrait pas honnêtement et elle se doutait de ce qu’il pensait. Sans doute quelque chose de semblable à ce qu’elle-même pensait : « Quitte à me marier, j’aurais voulu choisir. », « Ma vie me convenait et toi tu la déranges. » ou autre « C’est fait, il va bien falloir faire avec, maintenant. ». Elle expira discrètement, contemplant d’un air fatigué la chevalière qui brillait à l’index de son mari.

« Je pense que mon avis n’a jamais eu d’importance. Sinon ce mariage n’aurait simplement pas eu lieu. »

Elle releva un visage souriant vers lui et souffla :

« Je vois que nous partageons le même avis sur la question, alors. »

Elle laissa de longues secondes s’écouler avant de reprendre :

« Quelque part, c’est rassurant de le savoir. »

Leur attelage entra dans la cour derrière la boutique, laissant tout le loisir à Elindine d’apprécier la coquette architecture de ce vieux bâtiment. Par rapport au faste de la demeure de ses parents, l’esthétique de la bâtisse rappelait quelque peu l’apparence de celui qui y vivait : discret, fin, mais pas sans éclat. Nedru la précéda dans sa boutique. La décoration était plutôt sobre, la pièce était surtout chargée de livres variés et, nota-t-elle, étonnamment pauvre en antiquité. Elle suivit son mari dans l’escalier sans cesser d’observer autour d’elle. En haut des marches, ils s’arrêtèrent ensemble devant une porte qu’il ouvrit en lui désignant l’intérieur :

« Voici ta chambre. Tes affaires y ont déjà été déposées. »

Elle fronça les sourcils :

« Ma chambre ?
- Comme dit, si cela ne tenait qu’à moi, ce mariage n’aurait pas eu lieu et je tiens à continuer à vivre autant que possible comme si tel était le cas. Tu as quelque chose à redire ? »

La surprise lui vola toutes réponses. La voix de son époux était froide et elle comprenait bien qu’elle aurait dû se sentir vexée par son refus de passer leur nuit de noces ensemble. Mais sa froideur et la chambre solitaire qu’il lui présentait ne lui inspirait rien d’autres qu’un immense soulagement.

« Bien, bonne nuit, Elindine d’Enumasam. »

Son nouveau nom la sortit de sa torpeur et elle l’arrêta alors qu’il tournait les talons :

« Attends ! »

Elle se rapprocha doucement de lui, ses traits enfin apaisés dans un visage souriant :

« Je sais que tu ne fais pas ça pour moi, mais je te remercie… Pour le ruban, pour mes affaires et pour la chambre. Bonne nuit, Nedru. »

Elle recula et disparut à l’intérieur de la pièce qu’il lui laissait. Elle rejoint un lit encore inconnu, mais qu’elle pourrait faire sien dans peu de temps. Autour d’elle, dans diverses malles, reposaient la plupart de ses biens et quelques cadeaux. Elle se débarrassa des bijoux, jupons et autres atours, quittant son costume de mariées avant de rejoindre sa couche, nue. Elle s’étendit sur le dos, savourant sa tranquille solitude en une soirée qu’elle aurait imaginée lourde de la compagnie d’un homme qu’elle ne désirait pas. Elle trouvait Nedru charmant et, durant leur courte vie maritale, il n’avait rien fait d’autre que de s’attirer sa sympathie. Mais elle détestait sa suffisance bourgeoise et tous les marqueurs de sa haute naissance qu’il affichait avec tout le naturel d’un homme convaincu de les mériter. Elindine ne pensait pas pouvoir le désirer un jour, pas plus qu’elle n’aurait pu désirer un autre promis choisi par sa famille. Celui-ci avait au moins le mérite, pour le moment, de ne rien lui imposer de plus qu’un contrat. Si elle pouvait tirer un peu plus de liberté de cette situation, alors elle saurait s’y faire.

Edition 14/11/2020 15h01 par Elindine
12/11/2020 14h10
Elindine
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2 - La découverte du secret de Nedru

Réplique de Nedru d'Enumasam par Nedru

non-canonique


Cela faisait à présent quelques mois qu’Elindine vivait la vie d’une femme mariée, une vie qui consistait essentiellement à assurer le travail dans la boutique d’antiquité. Nedru lui avait très vite confié toute la part dévouée à l’expertise et l’estimation, mais aussi la mise en boutique, la caisse… Tant et si bien qu’elle avait fini par se demander ce qu’il faisait dans son magasin avant leur mariage, puisqu’il était présent aussi peu que possible. Un élément propre à chagriner toute jeune mariée digne de ce nom, mais l’ancienne Gallatera n’était pas une jeune mariée digne de ce nom. Elle était roublarde, indépendante et, paradoxalement, bien plus heureuse de sa situation qu’elle ne l’aurait cru, dans un premier temps. En effet, les absences répétées, de son tendre époux, ainsi que le fait de disposer de sa propre chambre, lui offrait une délicieuse marge de manœuvre dont elle avait profité dès que possible. Tant qu’elle tenait convenablement la boutique, Nedru ne lui demanderait rien de plus et elle pourrait aisément revenir à d’autres activités, fussent-elles peu légales. Ce n’était pas plus difficile que ce qu’elle faisait chez ses parents. C’était même considérablement bien plus simple : son passé « d’enfant terrible » ne jouant plus contre elle, dans cette maison.

Du moins l’avait-elle cru, jusqu’à ce que les premières sorties nocturnes de Madame d’Enumasam se passent successivement mal. Ce n’était rien de trop grave. La première fois, elle avait cru qu’elle avait visé trop gros. Il était vrai que chasser le gros gibier après la petite pause que lui avait imposé le mariage, son aménagement et la reprise de ses marques, ce n’était pas la meilleure idée qu’elle ait eue. Mais l’occasion s’était montrée si belle, si tentante, trop, sans doute, en y repensant. Elle avait donc renoncé sans difficulté et s’était mis en tête de rendre enfin visite à Phina. Maintenant qu’elle était installée, elle pourrait se voir plus souvent. Bien qu’Elindine aurait volontiers amené un gros cadeau à son amie pour fêter leurs retrouvailles, elles se contenteraient avec joie de leur présence respective. Kathlinder aurait peut-être une petite course pour elle, sait-on jamais.

Mais là encore, elle faillit se faire prendre sur les toits et fut obligée de passer une grosse partie de la nuit, cachée dans une poubelle, sans même atteindre la porte de la Coiffe de Satin. Elle avait dû rentrer chez elle au petit jour, pour retrouver un mari curieusement présent et levé, juste pour profiter des quelques relents qui parfumaient encore ses cheveux. Mais, après tout, ce n’était pas si étrange de trouver un homme chez lui, même si tôt. Alors elle ressortit encore une fois et cette fois, dans sa fuite, elle chuta d’un toit, entailla son avant-bras à une fenêtre brisée et rentra encore une fois dans sa chambre à peine avant l’aube, blessée, épuisée et toujours sans avoir vu Phina. Quand elle croisa Nedru, elle crut entrapercevoir un sourire traverser curieusement son visage quand il avisa le bandage tout frais qui dépassait de sa manche.

Ceci commençait à sentir fort l’arnaque et Elindine avait un flair infaillible pour ce genre de chose. Non seulement elle ne pouvait plus sortir le soir, vaquer à ses occupations, sans qu’un évènement inattendu ne manque de lui attirer des problèmes, mais en plus, depuis qu’elle vivait avec son époux, elle éprouvait de curieuse sensation. Elle se sentait parfois nauséeuse, sans raison et elle avait eu quelques mauvaises nuits qu’elle ne s’expliquait pas. Quand elle en avait discuté avec sa sœur, un jour de marché, cette dernière avait suggéré que, peut-être, elle attendait déjà un heureux évènement. La cadette avait souri nerveusement et éluder la question d’un « Ah ? Peut-être, oui. ». Peut-être, oui, en effet, mais il s’avéra très vite que non. Et comme elle ne pouvait guère sortir pour ses affaires, autant dire qu’elle n’avait pas encore eu le loisir de tenter les galipettes extra-conjugales.

Méfiante et avec plus de temps libre qu’elle n’en avait jamais eu, elle se résolue à fouiller la maison à la recherche de nouvelles informations sur son époux. Elle avait même commencé à dessiner un relevé des pièces et des murs, en quête d’une cache ou d’un niveau dont elle n’aurait pas connaissance et qui abriterait quelques vilaines cachoteries. Elle parvint à trouver quelques éléments qui, à sa grande surprise, impliquaient son époux dans la chute des Gallantera. Mais, pour aussi outrageant que soit la découverte, les preuves étaient minces. Il s’agissait plus d’un faisceau d’indices qui tiraient leur sens de la connaissance du caractère, parfois vicieux, de Nedru, qu’un fait établi. Et puis, quoi ? L’accusation ne rendrait pas sa fortune à sa famille, mais lui faisait prendre le risque de ne plus profiter de celle des Enumasam. Alors non, il fallait autre chose, quelque chose qui l’impliquerait lui, seulement lui.

Elles n’étaient pas tant en quête de preuve que d’éléments à utiliser contre le jeune homme, des leviers qui lui permettraient de discuter « sereinement » de ses récentes difficultés, avec celui qu’elle suspectait de plus en plus fortement d’en être l’origine. Et elle trouva effectivement un levier caché pour ouvrir une porte dérobée, qu’elle parvint à crocheter pour… Ne rien y trouver. Frustrée, mais déterminée, elle commença à étudier les allers et venues de son tendre époux. Une chose bien plus difficile que ce qu’elle aurait cru. Pour un petit bourgeois, il était redoutablement efficace dans l’art de la dissimulation. Malgré toute sa discrétion et sa vigilance, il parvenait tout de même à lui échapper.

Aux abois, elle n’avait pas beaucoup d’autres choix que de s’obstiner vers ce qu’elle savait être la bonne direction. Une nuit, alors qu’elle avait simulé une sortie nocturne pour mieux surveiller l’accès secret, enroulée dans une vieille cape, derrière quelques caisses de marchandises, elle observa son mari actionner le levier, ouvrir la porte et se glisser dans la pièce qu’elle gardait. Elle attendit quelques longues minutes, pour que, quoiqu’il soit venu faire, il se sente libre de le faire pleinement, avant de se glisser hors de l’ombre.

Elle sortit ses outils et parvint sans difficulté à entrebâiller la lourde porte, glissant une cale dans le mécanisme pour le maintenir ouvert. A l’intérieur, elle pouvait voir Nedru, seul. Une déception en soi, mais qui ne tarda à s’effacer quand elle prit conscience de la scène qui se déroulait sous ses yeux. Les Gallantera bénéficiaient tous d’une sommaire formation en magie qu’ils pouvaient poursuivre en cas d’éveil ou d’intérêt. Ce ne fut pas le cas d’Elindine, mais elle en savait assez pour comprendre que voir son époux saigner un jeune chat pour soigner une blessure sur son épaule était le signe de quelque chose d’occulte, voire démoniaque. Sa nausée la reprit soudainement, plus forte, et un frisson agita son échine. Dégout, excitation ou violente satisfaction d’avoir trouvé ce qu’elle cherchait ? Difficile à dire, mais le rat était fait.

Un sourire carnassier fendit son visage. Sans se départir de sa prudence, ni de la dague à son côté, elle ouvrit la porte. Puis, avec satisfaction, elle articula d’une voix claire :

- Bonsoir, mon ami, puis-je me joindre à toi ?

Il s’interrompit et reposa sa lame lentement, encore maître de lui malgré la surprise, mais pas assez pour cacher totalement la fureur qui troubla un instant ses traits. Il répondit à sa femme d’une voix claire, imperturbable.

- Bien sûr. Je voulais m’entrainer à apprendre l’anatomie.

Elle haussa un sourcil, mordant l’intérieur de sa joue pour ne pas succomber à l’envie d’éclater de rire ou de s’énerver franchement. La prenait-il vraiment pour si sotte que cela ? Elle se sentait vaguement insultée. Elle soupira et répondit d’un ton calme, bien que piqué de quelques accents exaspérés :

- Tu peux arrêter ta comédie, je t’ai vu.
- Oui, et alors ? Je m'exerce à la magie, quel mal cela fait-il ?

Un autre soupir franchit ses lèvres et elle fit quelques vers la silhouette longiligne de son époux, la dague en main, au fond de sa poche. Elle ne craignait pas cet homme, mais elle ne connaissait que trop bien la force des morsures des bêtes acculées, pour en être une elle-même.

- A la sorcellerie, corrigea-t-elle d’un ton pédagogue. Comme quoi, même les êtres dans ton genre ont une âme à monnayer. C’est bon à savoir.
- Tu sembles bien savante pour te permettre de déterminer d'un coup d'œil la nature de mes recherches...
- Oh, pitié, Nedru, tu aspirais la force vitale d’un animal !

Sa voix vibrait de la même colère que celle de l’homme en face d’elle. Les deux se jaugeaient avec froideur et mépris. Si leurs regards avaient été des flèches, ils se seraient entretués sur le champ. D’un geste vif, tout en expirant, Elindine assouplit sa posture, recomposant son visage en un masque plus neutre, presque aimable.

- Ecoute, quoique tu sois, quoique tu fasses, cela m’est égal. Je ne compte pas te dénoncer à ta famille, puisque tu ne m’as pas dénoncé à la mienne. Tout ce que je te demande, c’est de me laisser vaquer à mes occupations et je te laisserais librement vaquer aux tiennes. Même si elles impliquent… Des cadavres de chats errants. Est-ce un arrangement satisfaisant ?
- Tu as du culot de croire que nous sommes dans la même position. Laisse-moi rectifier l'arrangement : si quelqu'un d'autre que toi venait me trouver, caché dans mon domicile, en train d'aspirer la force vitale d'un animal voué à mourir, ce serait un miracle. Même si c'était le cas, eh bien ? Quel crime ai-je commis dans la Cité Franche ? Alors que toi ? Tu es en ville, dehors et tu t'amuses à entrer chez des puissants ! Un seul de tes faux pas et nos réputations seront réduites à néant.

Le silence qui suivit fit éclore un léger sourire sur les lèvres de la rousse. C’est qu’il était mauvais perdant, en plus ! Nedru poursuivit finalement.

- Je te propose d'en rester là, si tu commences à prendre de réelles précautions.

Son sourire s’élargit. Son mari était non seulement de mauvaise foi, mais aussi mesquin et paternaliste, en d’autres termes : insupportable. Est-ce qu’Aryn penserait toujours qu’il était un « bon parti » en sachant cela ?

- Plus de surveillance, plus de sale coup quand je sors, entendu ? sa voix se fit menaçante, presque grondante. Comme tu l’as si justement fait remarquée, tu as plus à perdre que moi, puisque ma famille a été ruinée.
- Je ne te surveillerai plus. Mais j'ai moi aussi des amis qui entendent parler de toi, je ne peux pas les en empêcher si tu joues sur leur territoire. Ou les empêcher d'essayer de te faire perdre autre chose que la fortune de ta famille.

Il ponctua sa phrase d’un haussement d’épaule innocent. Elindine ferma les yeux un instant, maitrisant l’envie de lui faire ravaler son sourire suffisant et ses manières d’insupportable petit bourgeois. A la place, elle se rapprocha encore un peu plus de lui, plantant ses yeux dans les siens.

- Eh bien je te suggère de trouver un moyen de les en empêcher efficacement, car dans le doute, ce sera toi qui prendras, mon cher.

Elle s’écarta, souriante, avant de poursuivre.

- Tant que nous serons en bons termes, je veillerai à satisfaire tes exigences. Tu apprendras que je suis plutôt une agréable partenaire en affaire. Enfin, si tes oreilles trainent, je suppose que tu le sais déjà. Sur ce, bonne nuit, Nedru.

Edition 14/11/2020 15h01 par Elindine
12/11/2020 14h11
Elindine
Elindine

3 - Avant de partir en Acoatl

Écrit avec Nedru

non-canonique


Nedru referma son livre de compte, pensif. Son activité ne l'enrichissait pas, sans lui faire perdre d'argent non plus... C'était insuffisant... Il aurait évidemment besoin d'argent, plus d'argent que cela, s'il voulait s'attirer la sympathie des groupes qu'il financerait ces prochaines années.

Fort heureusement, il avait obtenu des nouvelles intéressantes auprès de ses contacts et le vent pourrait bientôt tourner en sa faveur... Il leva les yeux sur sa femme, occupée à ranger le peu de choses qu'ils devaient gérer en ce début de soirée.

- Elindine ? Peut-on discuter un instant ?

La jeune femme, vêtue des atours encombrants de la parfaite boutiquière petite bourgeoise, releva un œil surpris mais intéressé vers son mari. Depuis leur mariage, Nedru et elle ne discutaient pas, jamais vraiment et encore moins depuis qu'elle avait mis au jour ses petites combines. En se redressant, elle croisa les bras et répondit sans chaleur :

- Nous pouvons.

Faisant signe à sa femme de s'asseoir sans toutefois se déplacer, l'antiquaire posa son menton dans une paume, les yeux plissés pour observer son épouse. Sans protester, Elindine s'assit auprès de son mari.

- Je vais négocier un contrat en Acoalt. Je préfère que tu viennes avec moi.

Son visage était resté impassible, mais dans ses yeux brillait un éclat de curiosité qui étincela encore plus fort à l'énoncée du commerçant.

- Venir avec toi ? En Ancoatl ? répéta-t-elle, incrédule.
« C'est... Soudain. Et je dois admettre que la proposition est alléchante, plus que la compagnie. Pourquoi souhaites-tu ma présence, soudainement ? finit-elle, retrouvant son mordant habituel en matière de négoce.

Dressant un rictus au coin de ses lèvres, le sorcier répondit avec politesse :

- Les raisons sont nombreuses, voyons ! Tu es une femme pleine de qualité et tu as su prouver bien des fois que tes leçons d'histoires sont encore ancrées en toi... Et puis je répugne à y aller seul comme un vulgaire mercenaire, et j'ai pensé que cela te ferait plaisir.

Les sourcils de la rousse se haussèrent franchement dans son visage.

- Par tous les dieux, Nedru d'Enumasam qui me complimente. Quelle est donc cette sorcellerie ? Mon cher, êtes-vous malade ? Possédé ? Ou juste saoul ? malgré ses sarcasmes, son sourire se fit plus naturel.
« Je dois néanmoins admettre que ta proposition me plait. Beaucoup.

Chassant les commentaires déplaisant de sa femme en agitant ses doigts, Nedru précisa, la tête toujours posée dans la paume :

- Tu peux préparer une tenue de voyage à ton goût. Et tes armes, les mers ne sont pas sûres en ce moment.

- Pas sûres... A quel point ? Et puis je ne suis pas contre en savoir un peu plus sur ce contrat que tu dois négocier.
- C'est parce que les routes ne sont pas sûres qu'il est intéressant d'aller y négocier. Pirates, monstres, que sais-je ? Le reste est secret.

Il se redressa, joignant les mains sur son livre de compte.

- C'est une invitation que tu peux refuser.

Elle rapprocha son visage de son époux.

- Et rester garder la boutique comme une bonne fifille ? Tu retrouverais tes antiquités noyées dans mes larmes de désespoir et nous avons des objets qui craignent l'eau.

Nedru sourit plus largement.

- Je me doute bien, tu n'aimes pas ce travail et je n'avais pas vraiment l'intention de te le confier, je ne suis pas...cruel.

Il gratta le cuir de son livre distraitement.

- J'écris une lettre à mon père pour lui laisser les clefs, si tu es d'accord... Pense à prévenir tes proches. Je suppose que certains voudront t'en dissuader...

Il sourit à nouveau et elle hocha la tête pensive.

- Oui, sans doute.

Elle considéra son mari un bref instant, de la tête au pied, le regard incisif mais une expression curieusement neutre sur le visage.

- Je sais que nous avons nos... Différents, toi et moi. Mais je te remercie pour cette proposition. J'ai toujours rêvé d'une lune de miel, conclut-elle en croisant les jambes, un sourire plutôt charmant plissait doucement ses pommettes tachetées.
« Puis-je faire autre chose pour mon tendre époux ?

A la réponse de sa femme, Nedru sortit une feuille de papier à lettre d'un tiroir et l'étala devant lui, ainsi qu'une plume qu'il tailla machinalement.

- Puisque l'on discute de nos différends, j'aurais aimé mettre certaines choses au point entre nous. Que les choses soient claires. Est-ce que tu veux mon opinion sur la chose, ou préfères-tu commencer ?

Il cessa de tailler sa plume et la reposa, fixant les prunelles de sa femme. Elindine se redressa et croisa un bras sous sa poitrine tout en l'invitant à poursuivre de l'autre. Affichant un air désolé, le brun poursuivit.

- J'ai détesté notre mariage. Je considère que c'est humiliant pour moi : mes parents ont sacrifié leur enfant unique pour honorer leur amitié, leurs engagements.
« Je pense que c'est également humiliant pour toi, même si tu y as moins perdu, d'un point de vue... marchand. Ou stratégique.

Il attendit une réaction avant de poursuivre. Mais le visage d’Elindine n’exprimait qu'une attention tranquille, sa posture semblait même légèrement plus ouverte, paisible. Il reprit donc, avec diplomatie :

- Quand tu as continué de menacer ma vie, ma réputation et mon commerce avec tes sorties, j'ai voulu t'en dissuader en utilisant de mauvaises méthodes. Je ne recommencerai pas et je m'en excuse.
« On ne s'aime pas. Peu m'importe, tant que l'on se respecte. Tu as des qualités et je suis satisfait de ce que notre relation peut nous apporter mutuellement.
- Qu'est-ce que nous nous apportons mutuellement, selon toi ? demanda-t-elle posément et sur un ton qu'il lui connaissait peu.
- Tu connais les mauvaises rues de la Cité, moi aussi et nous n'avons pas à nous cacher de cela en privé. Notre mariage est célébré et je n'ai donc pas à craindre de marier quelqu'un de plus frileux sur les actions... troubles. Tu as ta liberté et moi aussi.

Elindine laissa brièvement planer un silence entre eux, puis elle décroisa ses bras, posa ses deux coudes sur la table, les doigts entremêlés pour y placer son menton. Elle ne souriait plus, mais son expression était curieusement douce.

- Oui, je pense que nous sommes d'accord. De mon côté, je te demande pardon d'avoir mis en danger tes affaires. Je ne pensais pas pouvoir te parler des miennes et j'espérais que notre mariage n'altèrerait pas mon… mode de vie.

Elle soupira, effaçant la paix sur son visage pour retrouver le mordant de son sourire le plus commun.

- Et puis, quitte à être franche, tu es aussi un très bel homme, jeune et aguerri aux arts sensuels. J'aurais détesté épouser un vieux nobliau fripé ou un jeune loup boutonneux, elle frissonna à cette pensée.

Nedru sourit, sans retourner le compliment à sa femme. Il était plus commun pour les marchands de choisir une compagne à leurs goûts.

- Parfait. Je suis content d'avoir pu mettre cela au clair.

Elle hocha la tête et lui offrit un sourire plus honnête.

- Sentiment partagé. C'est rassurant de voir que tu es physiquement capable d'une occasionnelle franchise. Et je ne vais pas me plaindre si tu as adouci le fond de tes pensées, ironisa-t-elle néanmoins.
« Merci, Nedru.

Edition 14/11/2020 15h01 par Elindine
12/11/2020 14h34