Nedru
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Tour du propriétaire
Enfin, l'antiquaire allait pouvoir posséder son propre domicile. Il n'était pas rare que la noblesse de la Cité Franche loge dans les même villas en famille jusqu'au décès des patriarches, mais la bourgeoisie préférait éparpiller ses ressources pour les faire fructifier au maximum.
Nedru avait fait ses preuves en tant que négociant... Il pouvait discuter longuement avec des nains, bons payeurs devant les éternels, trouver des créatures en mal d'amour et que la compagnie d'un jeune homme dans une salle de vente poussiéreuse intéressait. Si jouer de son charme n'était jamais exclu, il y avait aussi d'autres portes ouvertes par son adolescence dans les rues : le recel était bien plus facile chez un antiquaire qu'un commerçant classique et il avait souvent des informations intéressantes à négocier aux amateurs d'extorsion.
En conséquence de ces réussites dont ils ignoraient l'essentiel, ses parents avaient décidé qu'il pourrait ouvrir une succursale dans des quartiers un peu moins favorisés, où le loyer serait moins cher -une idée du brun, qu'ils avaient jugée brave quoique économiquement risquée. Pas vraiment sa propre enseigne mais il n'aurait que peu de comptes à rendre désormais, ni sur les rentrées et sorties d'argent, ni sur ses absences du domicile. C'était une sorte de test, mais un test fort appréciable.
Les mains enfoncées dans les poches de son manteau, Nedru observait la devanture de sa future maison. Il était passé non loin d'une vaste place en descendant jusque cette partie de la Cité. Les odeurs d'iode parvenaient jusque là, sans réussir tout à fait à effacer les relents fétides qui s'écoulaient un peu plus loin. Dans la petite rue où il se trouvait, à l'ombre des bâtiments et des enseignes qui s'arc-boutaient au dessus de la rue au point de masquer une bonne partie du ciel, il se sentait dans son élément. Les égouts étaient fonctionnels ici et rien ne venait souiller les pavés mal dégrossis sur lequel frappaient ses talons tandis qu'il longeait la façade du bâtiment, observant l'allure générale du lieu.
Déjà, l'endroit disposait d'une cour privative et en plus d'une assez étroite façade côté rue par laquelle on pouvait observer à travers une immense vitrine, idéalement placée sous d'élégants colombages, tout le côté droit du bâtiment était également pourvu de nombreuses fenêtres donnant sur ladite cour, par laquelle on pénétrait par une arche assez haute pour faire passer les plus lourdes livraisons.
On avait laissé les clefs à son père pour l'ouverture et Nedru les ayant récupérées, il pouvait visiter seul l'endroit, à son rythme. Poussant finalement la porte d'entrée, il détailla la première pièce principale, dont le parquet de châtaigner sombre était baigné par les restes de lumière de la rue, à travers la vitrine. Un éclairage naturel convenable, vaguement inquiétant, qu'il rendit plus chaleureux en allumant la lampe à huile qui pendait à un crochet de l'entrée.
Cette pièce suffirait à exposer ce qu'il voulait vendre : spacieuse, elle s'étirait dans toute la largeur du bâtiment et probablement le tiers de sa longueur. Le parquet était solide, la hauteur du plafond agréable : juste assez haute pour y pendre un lustre discret sans se fracasser le crâne à chaque passage. La charpente visible, toujours aussi plaisante pour l'oeil.
Poussant plus loin son exploration, l'écho du parquet qui craquait le suivit tandis qu'il ouvrait la porte au fond, dévoilant un sombre couloir ainsi qu'un colimaçon en main droite. Ignorant l'étage, il s'avança dans le couloir, trouvant une porte ouverte sur sa droite, par laquelle une vermine non identifiée s'échappa en couinant. Une souris, peut être ? Peu importe. Une autre pièce s'ouvrait là, assez lumineuse pour être une étude agréable. Sans s'attarder sur les bibliothèques vides, le brun y alluma une lampe à huile, avant de retourner dans le couloir, jusqu'au fond, pour y faire grincer une nouvelle porte.
La cuisine, sans aucun doute. Une odeur de graisse brûlée semblait avoir imprégné les lieux et un comptoir à baquet d'eau ne laissait aucun doute sur son utilité. Des crochets pendaient ici et là, entre étagères vides et poussière de l'extérieur, apportée par une porte donnant sur la cour. Refermant cette dernière porte avec satisfaction, le brun était déjà conquis par l'endroit. Si les étages étaient en si bon état, il vivrait ici comme un prince ! Tapant du plat du pied contre la trappe menant à la cave, il décida que l'examen du sous sol attendrait.
Remontant le couloir, il s'engagea dans le colimaçon pour découvrir à l'étage un couloir similaire. Sur sa porte en main gauche, une vaste pièce qui en dominait la boutique, d'une superficie égale. Les tringles aux murs laissaient envisager que l'endroit avait servi de chambre principale. Comme elle donnait sur la rue, c'était effectivement l'endroit idéal pour entendre l'extérieur et s'éviter de mauvaises surprises. Corollaire de cet avantage : il était peu probable que les nuits soient calmes en dormant là.
Dans le couloir, la jumelle de l'étude devait avoir été un boudoir ou un dressing. Si sa théorie était juste... Accélérant le pas en pliant la flammèche de sa lampe à huile, Nedru ouvrit la pièce au bout du couloir, dévoilant ce qui pourrait constituer une coquette chambre. A l'opposée de l'autre, elle assurait ce qu'il fallait d'intimité en évitant les bruits transmis par l'escalier. Un lieu agréable, sans le moindre doute, complété par une vue qui surplombait agréablement la cour intérieure.
Ajoutez à cette maison un accès aux combles pour y stocker de menus objets... C'était parfait. Evidemment, il n'y avait pas de latrines aux étages comme dans les habitations des grands bourgeois et il faudrait descendre dans la cour ou accepter de se soulager dans un pot de chambre. Ce fait des choses, plutôt que constituer un problème, éviterait probablement les visites intempestives de ses parents pendant la saison froide.
Descendant le colimaçon pour revenir au rez-de-chaussée, Nedru prit plaisir à entendre l'escalier craquer avec la dignité du vieux bois. Cette fois, il ouvrit la trappe de la cave, explorant les ténèbres du bout de sa lanterne. C'était plus grand qu'il ne l'avait imaginé : le sous sol débordait sous la cour. La moisissure faisait sa vie tranquillement contre les murs de pierre mal dégrossies. L'absence totale de ventilation ou d'aération serait un problème pour entreposer des marchandises sensibles à l'humidité... Il préparerait un budget pour l'aménagement de l'endroit, sous le contrôle de son géniteur.
Six mois plus tard, l'antiquaire avait exaucé ses souhaits avec le budget limité dont il disposait. On faisait désormais sonner un petit carillon en entrant, dont le tintement était assez grave pour ne pas vriller les oreilles du jeune marchand. Un petit comptoir s'étalait au fond de la pièce d'entrée, dans laquelle vitrines d'exposition et présentoirs se serraient les uns contre les autres sans empêcher de se déplacer convenablement dans la pièce. Essentiellement composé de breloques, quelques pièces de sa marchandise avaient une réelle valeur et permettrait de déterminer la présence d'authentiques acheteurs dans ce quartier. Enfin, un lustre au plafond baignait cette pièce d'une chaude lumière, agréable, propice à la contemplation de cailloux dont on pouvait imaginer une valeur autre que celle qu'ils avaient réellement.
Son bureau était avait été son deuxième poste de dépense lors de l'aménagement des lieux. Considérant qu'il devait y passer le plus clair de son temps, c'était tout naturel. De plus, juste assez grand pour y inviter un ou deux collègues, c'était l'endroit qu'il destinait à la négociation de contrat et ne pas passer pour un miséreux était capital en de telles circonstances. Son bureau était vernis, les ferronneries des tiroirs délicates et la lampe à huile qui y trônait était délicatement ouvragée, harmonieuse avec le reste des meubles: trois fauteuils tapissés d'un élégant pourpre.
Ce qui remplissait les deux bibliothèques en revanche, c'était du chiqué. Les bons ouvrages étaient trop cher pour lui qui restait largement dépendant de la bourse de ses parents. Il avait récupéré de jolis livres et parchemins sur des sujets vaguement connexes à sa profession, mais la plupart étaient datés, voire carrément faux. Il avait néanmoins obtenu un Guide de Vollo, qu'il laissait volontairement traîner sur son bureau, pour le plaisir d'y feuilleter ses extravagances.
La réserve et cuisine du fond n'était pas spécialement bien garnie en provision, mais ce n'était pas très grave. Sans personnel adéquat, mieux valait garder des dimensions raisonnables. Certains sortilèges avaient beau mettre à votre botte un serviteur magique pour s'acquitter des basses besognes, Nedru estimait que c'était une excentricité dont il n'avait pas besoin. Certes, leur silence était garanti et ils pouvaient nettoyer un poulet aussi bien qu'un cadavre sans le moindre état d'âme... Mais tout le voisinage avait vite connaissance de votre goût pour le mystique et nombre d'autres problèmes se présentaient alors. En outre, l'antiquaire était tout simplement incapable de telles prouesses.
Quant aux étages, ils avaient été meublés avec simplicité, mais de manière à vivre de manière agréable. Quitte à faire son ménage seul dans une telle bâtisse, autant se passer de meubles superflus...
C'était le sous sol qui avait connu les changements les plus manifestes. La pierre avait été brossée et nettoyée, de la chaux versée sur le sol avait purifié l'espace tout en lui donnant une belle teinte claire. Dans la cour, des conduits d'air semblables à des minuscules cheminées sortaient désormais de terre et assuraient un air un peu moins vicié à l'intérieur. Et puis, il y avait ce mécanisme discret qui permettait de faire coulisser un panneau, derrière lequel se trouvait une plus petite pièce, vide pour le moment. Les nains qui l'avaient construit avaient la langue suffisamment chère pour que le premier importun venu n'ait pas connaissance de cet endroit.
S'il voulait faire fleurir toute l'illégalité de son commerce, ce genre de sécurité était nécessaire. Globalement, Nedru était plus que satisfait. Maintenant qu'il avait ce petit lieu de vie confortable, il lui restait à se faire connaître des bonnes bandes du quartier, celles qui promettaient d'avoir une carrière aussi longue que discrète.
Edition
17/11/2020
17h30 par
Nedru
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