Elindine
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1 - Entrainement à l’épée avec Papy Elandor
non-canonique
- Je suis vraiment obligée ?
- Oui, mon petit oiseau, tu es vraiment obligée.
- Mais pourquoi ?
Elandor soupira longuement, grattant son crâne d’une main. Il avait l’impression d’avoir eu cette discussion des dizaines et des dizaines de fois. En se tournant vers le visage boudeur et triste de sa petite-fille, il prit une grande inspiration et répéta, encore, ses raisons.
- Parce que, Mademoiselle Fal’San’In, vous avez une énorme bosse sur le crâne à cause d’une chopine prise en pleine tête lors de notre dernière représentation. Durant l’avant-dernière vos charmes ont poussé deux hommes à, fort romantiquement, se battre à coup de chaises. Et, encore avant, il y a eu cet incident avec la chandelle dont nous ne parlerons plus jamais. Alors, je suis navré, mais vous allez apprendre à vous défendre avec autre chose que les mots, dussé-je impliquer votre mère. Et nous ne voulons pas impliquer Ilanlar dans aucune de ces histoires, n’est-ce pas ?
Un long soupir à fendre l’âme franchit les lèvres de l’adolescente qui contempla ses pieds un instant, avant de relever des yeux humides et implorant vers l’elfe. Elandor sourit ; cette petite allait causer beaucoup, beaucoup d’ennuis à un homme, un jour. Pour le moment c’était surtout à son pauvre grand-père qu’elle en causait, et il ne comptait pas tolérer cette situation plus longtemps. Même s’il lui fallait affronter les yeux de chiot de sa petite-fille pour cela. Non, il ne se laisserait pas attendrir par cette adorable petite bouille d’amour… En tout cas pas pour la troisième fois consécutive.
- Allez, ne fais cette tête, Kayla. Ce sera amusant !
- Je ne vois pas comment ça pourrait l’être !
- Ce n’est pas si différent des passes d’arme que nous pratiquions jusque-là, tu sais.
- Bien-sûr que si ! Tu me demandes de me battre contre toi « jusqu’à ce que j’aie les réflexes pour esquiver une chopine lancée par un merosi un peu éméché » as-tu dit ! répliqua-t-elle en accompagnant sa citation d’une imitation assez convaincante de son vieux grand-père.
Le barde contempla la petite silhouette de l’adolescente en face de lui. Il n’avait pas plus envie qu’elle de l’entrainer au combat, mais le fait est que sa chère petite-fille avait probablement hérité de lui l’art de s’attirer des ennuis. Un don qu’il fallait recevoir avec les précautions qui s’imposaient. Posant une main sur l’épaule de la melessë et l’autre sur sa joue, il observa la jeune fille avec un regard tendre.
- Je suis désolé, ma chérie, mais je ne supporte pas l’idée qu’il puisse t’arriver quelque chose parce que je ne t’ai pas appris à te défendre. Je sais que tu penses que tu pourras toujours raisonner les personnes qui te voudront du mal. Mais non, tu ne pourras pas. Il y a des gens et des créatures sur qui les mots n’ont aucun effet. Alors… il sortit une fine épée d’entrainement et la tendit à la jeune femme, essaye de ne pas faire de ces séances une corvée, parce que tu n’as pas le choix.
Après une dernière tentative infructueuse pour attendrir son aïeul d’un regard implorant, Kayla grommela, saisit la lame et partit se mettre en position. Si elle avait toujours refusé la mise en pratique dans un duel avec Elandor, le vieil elfe lui avait tout de même appris quelques passes, postures et enchaînements. Elle n’avait pas beaucoup d’espoir d’impressionner l’homme en face d’elle et d’en finir rapidement avec cette corvée. Le barde ne le montrait pas souvent, mais elle savait pertinemment qu’il était une lame redoutable et un professeur exigeant.
En face d’elle, l’homme s’était aussi mis en garde et elle voyait à sa position qu’il attendait son attaque. Elle ouvrit la bouche pour protester, mais elle remarqua, au regard d’Elandor, qu’elle n’aurait pas d’argument pour le faire changer d’avis. Sans entrain, mais avec souplesse, elle s’élança, tentant de passer sa garde pour porter un coup d’estoc dans son mollet. Bien-sûr, l’elfe recula et balaya son coup d’un revers de lame. Elle se laissa couler le long de la passe, pivotant pour présenter son profil et devenir une cible moins évidente à toucher. Ce à quoi elle ne s’était pas attendue, ce fut la main de son grand-père saisissant vigoureusement ses cheveux pour la jeter en avant, puis la sensation de la pointe en bois contre ses côtes. La jeune femme gémit, étourdie, le corps endolori par sa chute.
- Je te demande pardon, mais les buvards à alcool ne se montreront pas plus tendre avec toi, si tu lances un assaut aussi mou. Tu ne danses pas, Kayla, tu te bats.
L’arme quitta son flanc et elle sentit les mains du barde la relever doucement, avec une infinie précaution. Dans sa chute elle s’était un peu écorché les coudes, mais rien de grave. Pourtant, la petite silhouette de la jeune fille tremblait encore, de surprise, de stress, de honte aussi, peut-être, un peu. Elandor lissa doucement ses cheveux d’une caresse apaisante.
- Je suis désolé, ma chérie. Sois courageuse et reprenons, finit-il en la soulevant sur ses pieds, avant de reprendre position, aussi tendre qu’il était impitoyable.
Kayla le fixait, incrédule, un vague sentiment de peur logé dans sa poitrine. Son grand-père sourit, réconfortant.
- Aller, prend position, ne m’oblige pas à t’attaquer sans que tu aies levé ta garde.
Elle s’exécuta, maladroite et incertaine. Magnanime, son aïeul enchaina des passes relativement lentes, accélérant au fur et à mesure avec des mouvements qu’elle connaissait, pour redonner un peu confiance à sa petite-fille. Kayla, tout comme sa mère, pouvait très mal prendre un échec et c’était un art véritable de la brusquer juste assez pour lui montrer ses lacunes, sans la braquer définitivement. Une chose que les deux avant du mal à pratiquer entre elles.
Ils enchainèrent ainsi les passes, Elandor punissant généralement le manque d’enthousiasme de l’adolescente par une mise à terre immédiate. Tant qu’il la sentait alerte et attentive, en revanche, il maintenait le niveau juste assez haut pour qu’elle se sente progresser, mais assez bas pour ne pas la rebuter. Pendant plusieurs semaines, puis des mois, des années, même, il maintint ces entrainements réguliers. Il eut même la satisfaction de voir sa petite-fille esquiver le prochain verre qui fusa vers elle, dans une taverne où ils menaient une représentation. Il aurait été encore plus satisfait si elle avait eu le courage de répliquer, mais c’était probablement trop demander au caractère de la petite melessë.
Aux yeux de l’elfe, il était indubitable que la toute jeune fille gagnait peu à peu l’indépendance d’une femme adulte. Vers ses 16 ans, il lui sembla même qu’elle mettait plus d’application et une meilleure volonté dans son entrainement. Une attitude inattendue qu’il comprit un peu mieux dans elle commença à parler du Lendëranda. Lentement, bien qu’avec un empressement certain, Kayla se préparait à partir et si sa mère continuait à nier l’inévitable. Son grand-père, en revanche, comprenait qu’il s’agissait-là d’un évènement qu’aucun d’eux ne pourrait prévenir indéfiniment.
Durant leur entrainement, la pacifiste convaincue gagnait curieusement en férocité. Elle, qui avait toujours axé son style de combat sur l’esquive et les manœuvre de désarmement, commençait à répondre à ses assauts de façon agressive, le surprenant plus d’une fois par des frappes au visage, ce qu’elle n’avait jamais osé faire auparavant. Il la taquinait, disait que son petit oiseau devenait une vraie tigresse, jusqu’à ce qu’un matin, durant un entrainement, sa jeune élève le désarme.
Ce n’était pas la première fois et Elandor était un combattant assez habile pour ne pas se laisser impressionner par la perte de son arme. Kayla ne le laissa pas faire aussi facilement que d’habitude, cette fois. D’ordinaire elle reprenait assez rapidement une posture défensive, profitant de quelques secondes de répit pour reprendre son souffle. Cette fois, en revanche, elle fut plus rapide que lui. Elle glissa le long de son mouvement et tenta même d’envoyer un coup de pied dans ses côtes. Son geste se perdit dans le vide, mais elle avait réussi à l’empêcher de récupérer son épée d’entrainement.
L’elfe sourit, intrigué. Il reprit sa posture, prêt à voir ce qu’elle ferait pour le tenir éloigner de sa lame. Il prit impulsion sur un pied, feinta un coup frontal pour bifurquer souplement et soudainement, au dernier moment. Peut-être commençait-elle à avoir l’habitude de l’agilité de son aïeul, puisqu’elle anticipa le bluff et parvint à le cueillir d’un pas chassé sur sa trajectoire, plaçant sa lame sur son chemin pour le forcer à tenir la distance avec elle. Cette fois elle poussa son avantage, l’éloignant encore d’un coup d’estoc, avançant impitoyablement vers lui. Il regarda sa posture, surpris par son endurance plus que par la rapidité de ses mouvements. Kayla avait pris de lui un style de combat vif et agile, esquivant jusqu’à pousser son adversaire à commettre une erreur et en profiter le moment venu. Mais, là, il avait du mal à visualiser la bévue qu’elle voulait qu’il commette, jusqu’à ce qu’un coup de taille lui fasse perdre brièvement son équilibre.
La jeune femme se jeta littéralement sur lui, le faisant basculer en arrière. En dehors d’un simple entrainement, il aurait probablement pu se rétablir, quitte à douloureusement tordre sa colonne vertébrale pour se dégager. Mais à cet instant, entre la surprise et l’étroitesse de ces possibilités, il se laissa tomber au sol. Kayla était au-dessus de lui, ses yeux clairs étincelaient d’une fougue qu’elle n’avait jamais montré au combat. Le bois de son arme d’entraînement était tendu contre la gorge blanche de l’elfe. Doucement, il sourit et tapota l’avant-bras de celle qui l’avait mis à terre, pour lui demander de le laisser se dégager. Elle s’exécuta gracieusement, retrouvant aussitôt son attitude d’adorable petite-fille modèle, en attente de compliments et de corrections.
En se relevant, il invita son élève à interrompre l’entrainement ici et à s’asseoir à ses côtés. Elle s’exécuta, curieuse et visiblement satisfaite de cet arrêt précoce, mais bienvenu. Taquine, elle osa lancer un piquant :
- Est-ce que l’âge te gagnerait, Elandor ? siffla-t-elle en posant son menton dans la paume de sa main.
Il sourit.
- Ah ! Et toi l’insolence, visiblement, il s’allongea dans l’herbe. C’était un bel échange, Kayla, sois-en fière.
Une étincelante expression de joie apparut sur la jolie frimousse de la petite blonde. L’elfe sentit son cœur se soulevait de bonheur en la voyant si heureuse. Il aurait voulu figer cet instant pour la garder ainsi, éblouissante d’alégresse devant une tâche joliment accomplie, ne jamais la voir triste ou trop loin de lui pour qu’il ne puisse intervenir ou l’aider. Ah, elle avait raison, l’âge le gagnait sans doute un peu. Il s’ébroua, puis fixa la melessë de haut en bas.
- Tu vas partir bientôt, n’est-ce pas ?
Il vit son sursaut, son regard échapper au sien, puis y revenir pour le soutenir. Qu’elle prépare un mensonge ou la vérité, il ne voulait pas l’entendre. Il l’interrompit :
- Ne me répond pas. Je ne veux pas le savoir. J’ai quitté assez souvent des personnes que j’aimais pour reconnaître les signes avant-coureurs et je ne veux pas te retenir, ni te pousser.
- Tu… Penses que je ne suis pas prête ?
- Je n’ai pas dit ça, dit-il en retrouvant son sourire.
Il fit une pause et soupira longuement, en secouant la tête.
- Cette décision te concerne. Je ne veux pas te retenir comme un vieux papy gâteau.
Il rit, mais il y avait un peu de tristesse et de crainte dans son regard. Il se releva et épousseta longuement ses vêtements, avant de conclure.
- Allons, ma chérie, Ilanlar nous attend surement.
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